Norma : Sofi Oksanen, trafic de cheveux, mères porteuses…
- Écrit par : Serge Bressan
Par Serge Bressan - Lagrandeparade.fr/ Elle le dit, le répète : oui, elle s’est inspirée de « Rapunzel » (« Raiponce » en VF), un conte des frères Grimm. Ce qui donne « Norma », le cinquième roman de la romancière finlandaise Sofi Oksanen.
Au programme, il y a du polar et du fantastique avec trafic de cheveux et mères porteuses… et une autre confidence : « Les cheveux, ils me fascinent depuis toujours ! » Elle dit aussi : « La fibre de mes dreadlocks est composée d’algues naturelles, pas de plastique ! » Avec « Norma », à 40 ans, celle qui fut surnommée « la Madonna de la littérature finnoise » est de retour en librairies après « Purge », paru en VF en 2010, prix Fémina, 400 000 exemplaires vendus en France… Un père finlandais et une mère estonienne, Sofi Oksanen est née à Jyväskylä (Finlande) et considérée comme une figure essentielle de la littérature scandinave contemporaine. Amazone à la bisexualité proclamée, elle déroule un nouveau roman (traduit ou en cours de traduction dans vingt-six langues) inspiré de « Rapunzel », un conte des frères Grimm et devenu dessin animé chez Disney. On est à Helsinki, le corps d’Anita Ross est retrouvé dans le métro de la capitale finlandaise. Catégoriques, les témoins expliquent que la femme s’est jetée sur les rails, sous le métro. Sa fille unique, Norma, ne veut pas, ne peut pas croire cette affirmation. Pour une seule et unique raison : à aucun moment, sa mère n’aurait envisagé la laisser seule avec son secret. Ses cheveux sont vivants. Oui, « ses cheveux ressentent des émotions, s’animent et poussent si vite qu’elle est obligée de les couper plusieurs fois par jour »...
Et voilà , dans cette histoire de cheveux sauvages, Norma lancée dans une quête pour trouver la vérité. Elle veut connaître l’emploi du temps des derniers jours de sa mère, savoir tout ce qu’elle fait durant ces jours. Sans ressources depuis qu’elle a été virée de l’Union centrale des aveugles et des malvoyants, elle va jusqu’à se faire engager dans le salon Majicoiffure où sa mère travaillait- un de ces salons de coiffure qu’on croit bien avoir vus dans un film d’Ari Kaurismäki. De découverte en découverte, surgit un passé trouble. Un passé qui intéresse un clan de la mafia locale. « Décidément, Sofi Oksanen sait nous surprendre », commentait le journal « Helsingin Sanomat » lors de la parution du livre en Finlande. « Norma », selon l’auteure, c’est « d’un côté, tous les thèmes associés à la chevelure, la puissance, la fertilité, qui sont présents dans le conte, comme dans les mythes très anciens. De l’autre, une véritable intrigue contemporaine autour de l’industrie et du trafic des cheveux, du marché noir et des relations de pouvoir. Une forme moderne d’exploitation des femmes, encore une ! »
Dans ce roman baroque qui évoque David Cronenberg pour l’univers et Marguerite Duras par moments pour le style, Sofi Oksanen mêle nombre de thèmes parmi lesquels les cheveux et la traite d'utérus. Oui, on se retrouve dans un salon de coiffure vraiment étrange : là , on y propose pas seulement des postiches et extensions en cheveux naturels, des cheveux de Norma qui ne cessent de pousser et que sa mère vendait à ses employeurs en leur assurant qu’il s’agissait là de cheveux ukrainiens, les plus recherchés et les plus chers ; là on y pratique également un trafic de mères porteuses... Avec Norma, on est dans le monde de l’occultation, des non-dits- « Tu te souviens des cauchemars qui te réveillaient quand tu étais enfant ? Les situations variaient, mais un motif se répétait : tu étais arrêtée et démasquée. Plus âgée, dans tes rêves, tu avais des accidents suite auxquels tu restais dans le coma pendant un mois, après quoi tu te réveillais captive dans un institut de recherche. Moi, j'ai fait des rêves où tu restais bloquée en plein désert à cause d'une panne ou d'un accident de voiture ; tu attendais les secours et tu te rongeais les cheveux. À chaque fois, tu avais oublié les ciseaux à la maison… »
Dans ce cinquième et nouveau roman de Sofi Oksanen, il y a du polar- bien efficace, à la sauce scandinave ; il y a aussi du fantastique, on devine même quelque goût de la romancière pour la mythologie. Et la rébellion. Ou encore le féminisme. Prendre un conte, le malaxer, le tordre… et en extraire, en livrer un texte terriblement contemporain, c’est la méthode Sofi Oksanen. L’enquête avançant, le monde se dérobe inexorablement sous les pieds de Norma. « L’héroïne du livre, je l’ai baptisée Norma, explique Sofi Oksanen, pas tant pour saluer Marilyn Monroe (NDLR : née Norma Jean Baker) que pour l’énergie tragique de l’opéra de Bellini. Avec aussi l’idée de « norme », de règle, de lois… » Bousculer la norme, dit-elle. Et remonter à la racine d’un mal, la violence faite aux femmes depuis des siècles. Ça déménage avec Sofi Oksanen- déjà dans « Purge », elle avait ciblé les tyrans totalitaires nazi et soviétique, les clichés nationalistes, le sexisme d’une société accrochée à son passé. Avec « Norma », la romancière finnoise joue encore l’irrévérence. Et c’est formidablement salutaire !
Norma
Auteur : Sofi Oksanen
Editions : Stock
Parution : 15 mars 2017
Prix : 22 euros