Chat sauvage en chute libre : « L’espoir est l’illusion des tocards »
- Écrit par : Félix Brun
Par Félix Brun - Lagrandeparade.fr/ « Aujourd’hui, c’est fini, les portes vont s’ouvrir et me rejeter, seul et soi-disant libre. Encore une dette payée à la société alors que je ne lui devais rien. » L’Australie pendant les années 60, un monde en pleine turbulence culturelle, sur un air de jazz et de mouvement existentialiste : le narrateur sort de prison. C’est un métis aborigène : « J’appartiens à une espèce hybride, un croisement de faune indigène et de chercheurs d’or immigrés. » Comment va-t-il consommer cette illusoire liberté dans un pays où les aborigènes ne sont même pas reconnus comme citoyens à part entière ? Au fil de ses retrouvailles avec ses compagnons de fortune et d’infortune, une bande de bodgies, « les antisociaux, les désaxés, les délinquants, tous unis dans la même méfiance de la normalité », au gré de ses promenades au bord de l’océan, et de ses rencontres avec la jeunesse étudiante issue de la bourgeoisie blanche, il va se confronter aux fossés entre lui et les blancs, aux barrières entre lui et les aborigènes, aux obstacles entre lui et une société qui le rejette, l’exclut et qui n’est pas la sienne.
[bt_quote style="default" width="0"]Parce qu’il est trop tard. Trop tard depuis le jour où je suis né, j’imagine. [/bt_quote]
Dans son vagabondage urbain, le jeune homme va découvrir dans une librairie le livre de Samuel Beckett « En attendant Gonot », une révélation… "Pas de vrai sujet, c’est comme une lente descente absurde vers la mort. Comme la vie." Et puis avec un ami il vole une voiture…tire sur un policier…et est à nouveau arrêté : "J’étais devenu un vide, empli de nuages grisâtres."
Un roman politique saisissant, publié en 1965, dans lequel Mudrooroo raconte avec pudicité et délicatesse, la condition des aborigènes et des métis sur le continent australien, condamnés à la ségrégation, à l’intolérance, à l’indifférence, à l’injustice des blancs. L’auteur joue de l’analepse et replonge le narrateur dans son enfance cadencée per l’amour maternel, la pêche, la chasse, la marginalité et le bush. Un narrateur qui semble sortir tout droit d’un livre de Camus, de Sartre ou de Beckett.
Les Aborigènes ne sont devenus citoyens australiens qu’en 1996…pour faire bonne figure avant les Jeux Olympiques de Sidney en 2000… ?
Une lecture forte, profonde, marquante ; la cicatrice autobiographique de Mudrooroo, empreinte de solitude, d’absurde, d’existentialisme se refermera-t-elle un jour ? Merci aux éditions Asphalte d’avoir réédité ce magnifique roman agrémenté d’une postface de cet immense écrivain.
Chat sauvage en chute libre
Auteur : Mudrooroo
Traduction : traduit de l’anglais (Australie) par Christian Séruzier
Editions : Asphalte / Prix : 18€ / Parution : 12 janvier 2017