Une femme de rêve : la femme dont le cerveau est un immeuble habité
- Écrit par : Guillaume Chérel
Par Guillaume Chérel - Lagrandeparade.com/ Dominique Sylvain est décidément étonnante. On dirait qu'elle s'échine à changer de style et d'univers à chaque nouveau polar, au lieu de tracer le même sillon, comme de nombre de ses homologues, auteurs de romans noirs qui, une fois qu'ils pensent avoir trouvé le bon filon (celui qui fait vendre), écrivent toujours le même livre, formaté, « markété » pour un public paresseux.
On la croit au Japon (Kabukicho, 2016, Viviane Hamy), elle rentre au pays, pour s'inspirer des clubs de rencontres (Les Infidèles, 2018, même éditeur). Cette fois, dans Une femme de rêve (où le Japon reste proche), elle s'est inspirée d'un récent fait-divers (l'évasion puis la capture de Rédoine Faïd, ex-Caïd de la Courneuve, spécialisé dans l'attaque de fourgons blindés), pour s'en détacher aussitôt et plutôt s'intéresser à la femme que Karmia (le « méchant » du livre) kidnappe, au début du récit.
A sa manière, Dominique Sylvain s'échappe également à chaque nouveau livre qu'elle écrit, puis publie, à un rythme soutenu (un par an, chez Viviane Hamy, laquelle fête ses 30 ans... Pas Viviane, la maison d'édition !), comme ses nouvelles héroïnes (Nico, Laurence... « l'élue »). La comparaison avec le monde virtuel (la matrice) s'arrête là. L'élue n'est pas le pendant féminin de Néo, dans Matrix, même si elle se balade dans une sorte de Second Life. Les codes sont là... A vous de jouer. Ou pas. Une femme de rêve brouille les pistes de la narration du genre. Au lieu de traquer le coupable (son père, ou le fameux Charles Karmia), n'est-il pas plus séduisant de rechercher qui est (vraiment) la victime ? Même si ça peut paraître insensé, dixit l'autrice pas triste. C'est ainsi qu'aime écrire Dominique Sylvain, en s'amusant (et en travaillant évidemment) à changer sa manière d'écrire, et de point de vue, au cours du récit, comme pour se surprendre elle-même : « Devant ses yeux, des bulles d'argent dansent. Les sons lui parviennent à travers de la ouate. Ses poumons gonflés, la martyrisent (...) Une image émerge. Celle d'une banque d'un autre siècle. » (page 39). Plus loin, autre cadre, rapport au « daron » voyou et à l'ex-flic Schrödinger, ça cause langage parlé.
En plantant l'action dans ce monde onirique, et sensuel, entre fiction et réalité, Dominique Sylain nous plonge dans l'univers des nouvelles technologies et des bitcoins, cette monnaie virtuelle, basée sur la spéculation, à l'image même du système bancaire actuel. Il y a des coups de feu, des morts, du fric, des femmes - donc du désir plus que du sexe -, mais Une Femme de rêve n'est pas un polar comme les autres. Dominique Sylvain joue avec les codes du roman noir. Il faut se laisser entrainer par sa plume déroutante. Au moins avec elle, on voyage immobile. N'est-ce pas là l'un des buts de la littérature ?
Une femme de rêve
Editions : Viviane Hamy
Auteur : Dominique Sylvain
290 pages
Prix :19 €
Parution : 16 janvier 2020
Le blog de Guillaume Cherel: www.guillaume-cherel.fr