Paz : le nouveau « polar voyageur » de Caryl Férey
- Écrit par : Serge Bressan
Par Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / Voici un écrivain voyageur. Un jour en Argentine ou au Chili, l’autre en Afrique du sud, un autre encore en Nouvelle-Zélande. A 52 ans, Caryl Férey est une des stars du thriller, du roman noir « à la française ». Sans bruit et encore moins de tapage médiatique, il enchaîne les best-sellers et s’est imposé comme un des « poids lourds » de la Série Noire. Il glisse souvent qu’il a « le polar dans le sang »- ce qu’il a prouvé, dans le passé, avec « Mapuche », « Condor », « Haka », « Utu » ou encore « Zulu ». Ce qu’il confirme avec sa nouvelle production, tout simplement titré « Paz »- ce qui signifie, en français, paix… et cette fois, Férey emmène le lecteur en Colombie- résumé par l’éditeur sur le bandeau qui ceint le livre : « Un père, deux fils, une tragédie familiale sur fond de guérilla colombienne ». Comme pour ses précédents textes, ses précédentes aventures noires, le romancier a passé de longs mois en immersion dans le décor qu’il évoque dans « Paz »…
Tout commence dans une chambre- on lit : « Lautaro s’éveilla, la main posée sur la fesse d’une femme. Il ne savait pas si le jour était levé derrière les stores, si son horloge biologique lui jouait des tours, pas même le nom de la fille qui lui tournait le dos dans le lit king size ; entre deux eaux, il se laissa flotter dans le marigot. Les images couraient toutes seules dans son esprit, des images sans queue ni tête entrecoupées de flashs incohérents ». Il voit ainsi son frère face à un peloton d’exécution, une orchidée blanche aussi et des vagues furieuses d’une mer de mercure, des paysans aux dents sciées souriant alors qu’on allait les tuer… Sur son smartphone, il voit l’heure : 4h47 ; le téléphone sonne, il décroche, on lui annonce qu’un autre cadavre a été trouvé, « à la Candelaria. A la vue de tous et dans un sale état ». Lautaro : « J’arrive ».
Dans le quartier de la Candelaria à Bogota, Lautaro Badager est chef de la police criminelle- la légende (ou la vérité) assure qu’il est arrivé à ce poste de responsabilités en usant des « méthodes rigides »- ce qui lui a assuré une réputation de type aussi impitoyable que violent, avec une bonne dose de cynisme et de racisme. Et en bénéficiant également des réseaux de son père, Saul Bagader- un vieux requin de la politique, à présent procureur général et national après avoir été compagnon de route d’un ancien président et négociateur des accords de paix en 2016 avec les Farc (Forces armées révolutionnaires de Colombie). Et voilà Lautaro en quête d’infos, d’indices sur ce cadavre qui s’ajoute à tant d’autres. Les questions surgissent : qui est derrière tout cela ? qui manipule qui ? Les politiques ? Les narcotrafiquants ? Les Farc ? Des paramilitaires ? On laisse même entendre que les Etats-Unis pourraient bien être derrière tout ça…
Evidemment, le chef de la police criminelle ne dit rien. Silence sur l’enquête… Silence sur sa vie, son passé, sa famille- avec son père, Saul Bagader, mais aussi sur un frère dont on ne saura rien si ce n’est qu’il est un ancien guérillero des Farc et dont le fantôme revient… « Lautaro est lui-même plein de zones grises, il se retrouve face à ce qu’il a provoqué. Son passé lui revient en boomerang, et au centuple », confie Caryl Férey qui ajoute : « Le sujet central du roman, c’est la famille. Entre un père tout-puissant dans les milieux politiques et deux frères qui s’affrontent, la famille Bagader réunit toute la complexité de la Colombie. Au-delà du roman noir et de l’intrigue policière, l’histoire de ces rapports de force père-fils est universelle, comme une tragédie grecque ou shakespearienne ». Et, dans cet univers glauque et noir à souhait, il y a aussi une femme. La femme du début, la femme dans le lit- celle que Lautaro a rencontré par l’entremise de Tinder. Elle s’appelle Diane Duzan, elle est journaliste- spécialité : l’investigation. Elle ne va pas lâcher l’affaire. Elle pressent que tous ces cadavres sont peut-être (sûrement ?) liés au passé des Bagader, Saul, Lautaro et le frère… Dans ce « polar voyageur », au final, y trouvera-t-on la « paz »- la paix ?
Paz
Auteur : Caryl Férey
Editions : Série Noire / Galliamrd
Parution : 3 octobre 2019
Prix : 22 €
[bt_quote style="default" width="0"] Lautaro repoussa les rubans jaunes, songeur. C’était le onzième cadavre qu’il retrouvait à Bogota cette semaine, le trente-sixième en comptant les bouts disséminés dans le reste du pays. Sauf que celui-ci semblait à peu près entier… Il dépassa les types de la patrouille municipale qui recomptaient leurs doigts en baissant la tête, regagna la Camaro garée plus loin, gambergeant dans son âme en miettes. Ex acteurs du conflit recyclés dans le privé, groupes armés d’extrême-gauche ou droite toujours en exercice, délinquants manipulés, narcos, capos mafieux et sicarios, tout ce que la Colombie comptait de criminels était susceptible d’avoir planifié pareille boucherie. [/bt_quote]
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