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Les cruelles étoiles de la nuit
 : un polar linéairement blanc comme neige

  • Écrit par : Catherine Verne

Cruelles etoilesPar Catherine Verne - Lagrandeparade.fr/ Avec "Les cruelles étoiles de la nuit", on est invité à suivre pour la cinquième fois les aventures d'Ann Lindell, ici aux prises avec deux meurtres d'agriculteurs, conjointement à la disparition d'un universitaire retraité qui tyrannisait sa fille. Suivre l'inspectrice au fil de sa nouvelle enquête se fait avec grande difficulté à vrai dire. Non que l'héroïne nous distance en allant trop vite pour nous, la lenteur du récit laissant largement le temps de s'installer dans l'intrigue. On attend même plutôt qu'il se passe quelque chose de vraiment bouleversant ou de captivant.

Est-ce dû au décor, linéairement blanc comme neige, calme comme la campagne suédoise, interminable comme les saisons sans jour? Encore cet exotisme-ci nous divertirait-il, nous, habitants blasés de nos latitudes australes sans grande imagination. Même pas: l'univers dramatique créé par Kjell Eriksson sous "Les cruelles étoiles de la nuit" pourrait se situer dans à peu près n'importe quel environnement rural occidental et terne, où un romancier inventif trouverait à concocter, comme on fait dans les vieux pots, les meilleures rancoeurs et planterait à souhait le décor de névroses bien glauques. On est servi en la matière concernant le noeud du thriller. Tout le problème est l'emberlificotement du ruban, à rallonge excessive et masquant une inconsistance agaçante en guise de cadeau en-dessous. Agaçante parce que, quand même, on fournit l'effort longuet de dépioter les soliloques incessants ou les ressassements sentimentaux d'un personnage puis d'un autre, on épingle au cas où quelques allusions savantes sans être érudites, à Pétrarque et à la culture classique, on note les détails de mult descriptions sans fin ni but, pour jouer le jeu de notre côté, en espérant être cuelli à un moment enfin par le talent de l'auteur. On y croit au moment où ce dernier agite sous notre nez la piste d'un jeu d'échecs grandeur nature, feu de paille aussi brillant qu'évanescent dans le désert gelé d'un pays pourtant réputé pour ses polars. On veut y croire en fait, on aiderait presque l'auteur à nous convaincre, mais la léthargie ambiante regagne subrepticement le récit comme si rien ne devait venir jamais donner vie à l'intrigue, et encore moins aux personnages exsangues, présentant à peu près tous les symptomes critiques de la dépression. Si encore la narration, jusqu'au dénouement, n'était pas aussi plate que la résolution de l'énigme était prévisible, mais relevait le niveau par un style admirable quoique sombre, si les personnages étaient pétillants ou haut en couleurs, si le titre flambant qui étiquette l'ouvrage tenait sa promesse d'éblouir - au moins le regard sinon l'esprit -, encore parlerait-on volontiers d'un cadeau à l'emballage correct à offrir pour Noël, du genre passe-partout et sans prendre trop de risques, sinon celui d'ennuyer. Mais décidément rien de remarquable à saluer dans cette nouvelle parution sous le soleil nordique de Kjell Eriksson. On a presque envie de se mobiliser pour qu'il se ressaisisse comme si sur son ciel nocturne aussi, il était, pour paraphraser Apollinaire, "grand temps de rallumer les étoiles" - cruelles ou pas, du moment qu'elles nous illuminent d'un franc éclat et réchauffent nos coeurs déçus par ce dernier roman.

Les cruelles étoiles de la nuit


Auteur: Kjell Eriksson

Editions: Actes Sud

Traduction: Philippe Bouquet 


Prix: 9,70 euros / Parution : novembre 2015

 

 


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