Par Serge Bressan -Lagrandeparade.fr / Trois suggestions de lecture pour cette semaine. D’abord, on commence avec le philosophe Roger-Pol Droit et son Alice pour un voyage aussi pétillant qu’enthousiasmant au pays des idées. On enchaîne avec l’impeccable roman de Daniel Kehlmann consacré au réalisateur G.W. Pabst. On boucle avec Pierre Michon, un des meilleurs auteurs français, pour un texte qui emmène le lecteur du côté de chez Homère. Bonne lecture !

ROGER-POL DROIT : « Alice au pays des idées Â»

La promesse de l’éditeur est belle : « Comment vivre ? Un lumineux roman pour découvrir la philosophie Â». Impossible de ne pas plonger dans « Alice au pays des idées Â», le nouveau livre du toujours impeccable Roger-Pol Droit, surtout quand il confie : « J'ai voulu écrire pour ceux qui s'imaginent que la philosophie est un truc chiant Â». Le moins qu’on puisse écrire, après lecture : c’est réussi ! Délicieux pédagogue et vulgarisateur, l’auteur nous emmène dans les pas d’Alice, gamine d’aujourd’hui préoccupée par l’état et le futur de la planète et de l’humanité. La voilà donc partie sillonner le monde- des idées, évidemment. Et y faire de nombreuses rencontres. A commencer par celle, sur un marché d’Athènes, de Socrate, puis on la retrouve dans la caverne de Platon, dans le jardin d’Epicure, en Chine avec Confucius, en conversation avec Montaigne, dansant un menuet avec Rousseau ou encore dans le cabinet viennois de Freud. Follement pétillant, toujours enchanteur, Droit propose quarante aventures et péripéties pour appréhender la richesse et la diversité du Pays des Idées. Plaisir ultime : dans ce périple en ce pays où toutes les idées existent, Alice est accompagnée par la Fée Objection, Kangourou le bibliothécaire et les jumelles Souris, la Sage et la folle ! Bon voyage…

« Alice au pays des idées Â»
Auteur : Roger-Pol Droit
Editions : Albin Michel
448 pages
Prix : 22,90 €

DANIEL KEHLMANN : « Jeux de lumière Â»

Pour certains, il reste celui qui a découvert les actrices Louise Brooks et Greta Garbo. Pour d’autres qui lui reconnaissent le statut de géant du cinéma muet, il aurait pu (dû ?) être l’égal de F.W. Murnau (1888-1931) et Fritz Lang (1890-1976). Né en 1885, Georg Wilhelm Pabst n’aura été qu’un bon réalisateur- ce que raconte « Jeux de lumière Â», le nouveau roman de l’écrivain allemand Daniel Kehlmann- auteur d’un des livres les plus populaires dans son pays de l’après-guerre : « Les Arpenteurs du monde Â». Avec cette biographie romancée (ou ce roman biographique), l’auteur déroule la vie d’un artiste qui aurait mais qui n’a pas eu… Il réalise un film à Paris quand Hitler et son régime nazi arrivent au pouvoir, il quitte l’Europe direction Hollywood qui n’attend pas après lui et le traite avec quasi-mépris. Sa mère gravement malade, il revient en son Autriche natale, annexée par l’Allemagne nazie. La guerre éclate, il est bloqué dans ce pays dont l’un des dirigeants, Joseph Goebbels, se met en tête de le faire réaliser de nouveaux films à la gloire du régime… Pabst imagine pouvoir résister- il n’accepte qu’une dictature : celle de l’art. Mais il ne résiste pas- c’en est terminé, humilié par la réalisatrice Leni Riefenstahl, pris au piège. Sa chute en sera d’autant plus triste, dramatique…

« Jeux de lumière Â»
Auteur : Daniel Kehlmann
Editions : Actes Sud
416 pages
Prix : 23,50 €

PIERRE MICHON : « J’écris l’Iliade Â»

Apparu sur le tard, presqu’à la quarantaine, en littérature avec Vies minuscules (1984), Pierre Michon est aujourd’hui considéré comme l’un des plus grands écrivains français. Styliste exigeant, il se glisse jusqu’à nous avec « J’écris l’Iliade Â»- quatorze textes pour un récit inhabituellement long (270 pages) pour lui, un texte follement enthousiasmant. En note d’intention, il nous prévient : « Ce récit est souvent érotique. Quand il résiste à l’appel du désir, il écoute les voix des bêtes, des arbres, des pierres, de ceux qu’on a appelés les dieux Â». Et d’ajouter : « Homère est le héros de ce livre Â». Certes, mais dans cette revisite, dans cette relecture de « L’Iliade Â»- un des textes fondateurs de la littérature européenne, Homère n’est pas le seul héros- Michon l’est également. A preuve, la première phrase du livre : « J’eus à vingt-six ans une aventure ferroviaire, à la faveur de laquelle je devins un autre Â». Et nous voilà, lectrices et lecteurs, embarqué.e.s dans un maelström mêlant l’autofiction, la mythologie grecque et un regard insolent sur l'épopée homérique. Mais Michon ne s’arrête pas en si bon chemin : dans son récit jubilatoire, il propose quelques réflexions sur la condition humaine et la littérature. On flotte joyeusement et érotiquement entre Troie et Paris…

« J’écris l’Iliade Â»
Auteur : Pierre Michon
Editions : Gallimard
272 pages
Prix : 21 €