Du côté des poches : Chantreau, Fante, Kennedy Toole et la conjuration des familles...
- Écrit par : Guillaume Chérel
Par Guillaume Chérel - Lagrandeparade.com/ Nous avons la chance, en France, d'avoir de superbes collections de poche qui rééditent des auteurs chevronnés, disparus, et des auteurs vivants à découvrir. Parmi ceux-ci, Jérôme Chantreau, qui avait fait son entrée en littérature avec un roman métaphorique surprenant : Avant que naisse la forêt . Il y racontait l'histoire d'Albert, père d'un enfant fait avec une belle rousse, qui vit paisiblement au bout du RER parisien, lorsqu'on lui apprend la mort de sa mère. Albert se déplace dans la maison de cette dernière, pour faire le deuil et le point, en tête à tête avec l'urne dans laquelle il y a les cendres de sa génitrice. La maison se situe en Mayenne, au milieu d'une forêt. Sa femme lui demande quand il rentre... bientôt. Mais une nuit, il est réveillé par des bruits étranges. Dans une aile de la propriété, les murs chantent... Ces échos font ressurgir le passé. Une légende familiale lui revient : un ermite erre dans les bois. Commence alors la lente remontée des secrets familiaux. Albert n'arrive pas à quitter la maison, la forêt en fait... sa mère, quoi. La fin devrait vous surprendre.
Avant que naisse la forêt
Auteur : Jérôme Chantreau
300 pages
Editions : Pockett
Prix : 8€
Son deuxième roman, Les enfants de ma mère, tourne une fois encore autour du personnage féminin qu'est – ou devrait être – la maman... Jérôme Chantreau y dresse le portrait d'une femme en quête d'elle-même. C'est les années 70-80, la gauche prend (enfin ?!) le pouvoir. Le jour où Mitterrand est élu (10 mai 1981), une femme s'émancipe, mais sa libération provoque un séisme dans la cellule familiale. La porte du 26, rue de Naples, est ouverte aux quatre vents. Son fils, Laurent, crée un groupe de rock dans les caves parisiennes, Françoise recueille chez elle des gamins fracassés par la drogue et les mauvais coups. Ils mangent quand ils peuvent, si les courses ont été faites. Laurent morfle, l'air de rien. Sa mère a eu le mérite de se libérer du patriarcat mais la cellule familiale n'existe plus. Bohème, naïve, légère, fantasque, voire irresponsable, elle laisse ses enfant s'élever seuls, surtout Laurent, qui trouve refuge auprès d'amis, tout aussi à la marge que lui pour X-raisons, mais pas de père, pas de repères. Toutes sortes d'artistes et de marginaux défilent, parfois aussi des gamins perdus. Surtout des gamins perdus... Heureusement qu'il y a Victor, le plus beau, le plus brillant de sa bande de potes mais dont les ailes seront vite brûlées. Ces années d'adolescence et d'apprentissage vont marquer Laurent à jamais. Avoir 20 ans, à Paris, dans les années 80, ce n'était pas si cool que peut le laisser croire la nostalgie d'une jeunesse perdue. La France mitterrandienne camouflait une grande sauvagerie nihiliste : c'était aussi les années Action Direct, rock alternatif et du Sida. L'espoir a vite laissé place à la désillusion. Dans ce roman tourmenté, Jérôme Chantreau le rappelle avec une grande sensibilité.
Les enfants de ma mère
Auteur : Jérôme Chantreau
450 pages
Editions : Pockett
Prix : 8 €
Une autre histoire de « famille de fous » a été adaptée au cinéma par Yvan Attal, qui fait quasiment jouer toute la sienne, de famille, dans l'adaptation de Mon chien Stupide, de John Fante. Celui qui fut le modèle de Charles Bukowski y raconte comment l'irruption d'un énorme chien à tête d'ours débarque un soir dans sa vie d'auteur désabusé. Il n'a qu'une envie : s'envoler loin de sa famille qui le rend dingue. Sa femme Harriet et ses quatre enfants ne peuvent qu'accepter la présence de ce canidé très mal élevé qui finit par prendre leur place dans cette coquette banlieue californienne de Point Dume, au bord du Pacifique. Evidemment, c'est drôle, loufoque mais ça en dit beaucoup sur la vie d'un écrivain qui se bat pour (re)gagner sa liberté de créer.
Mon chien stupide
Auteur : John Fante, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Brice Matthieussent
Editions : 10/18
187 pages
Prix : 8 €
Et puisqu'on y est, dans la loufoquerie la plus grotesque et ironique, les éditions 10/18 ont l'heureuse idée de rééditer La Conjuration des Imbéciles, roman devenu culte de John Kennedy Toole, alors qu'il avait été refusé par toutes les grandes maisons. À trente ans passés, Ignatius vit encore cloîtré chez sa mère, à La Nouvelle-Orléans. Harassée par ses frasques, celle-ci le somme de trouver du travail. C'est sans compter avec sa silhouette éléphantesque et son arrogance bizarre... Ou Bartelby en Louisianne ! Chef d'œuvre de la littérature américaine, La conjuration des imbéciles offre le génial portrait d'un Don Quichotte yankee inclassable et culte. L'un des plus drôles de l'histoire littéraire américaine, avec Catch 22, de Joseph Heller, dans un tout autre genre (le thème de la guerre) mais qui en dit autant sur la bêtise et l'absurdité d'une grande partie du genre humain. La preuve, après son suicide, à la fin des années 70, la mère de John Kennedy Toole est à nouveau allé frapper aux portes des éditeurs, Walket Percy daigne la recevoir et lit le pavé de son fils : il est subjugué par cette histoire hors norme, à la fois drôle et triste. Il le publie en 1980 et... Toole reçoit le Prix Pulitzer en 1981 : « Quand un vrai génie apparaît en ce bas monde, on le peut reconnaître à ce signe que les imbéciles sont tous ligués contre lui », a écrit Jonathan Swift. C'est cet exergue qu'avait choisi l'apprenti écrivain, sûr de son talent, de sa différence, avant de tirer sa révérence. C'est sa mère qui l'a sorti de l'oubli. On appelle ça une tragédie.
La Conjuration des Imbéciles
Auteur : John Kennedy Toole, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Jean-Pierre Carasso
Editions : 10 / 18
Préface de Walker Percy
533 pages
Prix : 10,60 €