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Parole (sans langue de bois) au service du (grand) public  

  • Écrit par : Guillaume Chérel

porte parole Par Guillaume Chérel - Lagrandeparade.com/ « Je ne veux pas d’un livre ennuyeux », confesse l’ex-porte-parole du Ministère de l’Intérieur, Camille Chaize, à la fin de son ouvrage, sous-titré « Réflexions personnelles de la voix officielle » du dit ministère.

Dans ce récit, très personnel, elle parle d'un « sentiment d'échec » qui l'« assaille », lorsque (…) Le poison lent de l'extrême droite identitaire et ses idées les plus radicales ont infusé les débats, irrigué la société". Plus grave, jugeant que le ministère de l'Intérieur « serait immédiatement impacté » par l'arrivée au pouvoir du parti de Marine Le Pen, elle dit ne pas compter « sur une résistance particulière parmi les forces de l'ordre », tandis qu’à Beauvau, elle estime que quelques hauts fonctionnaires seulement envisageraient de démissionner. « Mes tripes se tordent, confesse-t-elle. Je ne suis pas neutre et je ne le serai jamais avec les extrêmes. Au fond de moi, j’ai envie de sortir de cette sacro-sainte réserve, de défendre haut et fort mes valeurs républicaines. »
Rassurons-là, c’est réussi. Que les charognards, amateurs d’anecdotes croustillantes, et autres polémiques stériles, passent leur chemin. Il ne s’agit pas non plus d’un journal de bord, encore moins d’un recueil de souvenirs. Plutôt d’une successions de chroniques, comme on dit dans le journalisme, métier qu’elle a côtoyé de près.
Camille Chaize dit aussi avoir voulu « écrire pour soulager (sa) peine » - et non conscience - de « quitter ce poste que j’ai tant aimé, ce ministère si attachant qui s’est transformé ces dernières années », peut-on lire en introduction : « Cinq ans à parcourir la France, de Calais à Marseille, de Mamoudzou à Cayenne, d'Annecy à Perpignan, au gré des évènements, des actualités et des crises (…) J'ai vécu des moments de tensions extrêmes et de grandes émotions. J'ai suivi dans les coulisses du pouvoir des situations qui disent beaucoup de notre société, des attentes des Français, de la fébrilité des médias et du rôle déterminant de l'État. Parler, c'est agir. Crise sanitaire, attentat, immigration, ordre-public : dans ce ministère régalien, j'ai agi en parlant. Ces dernières années, mon principal combat a été d'apporter de la nuance au débat public, de lutter contre la désinformation et d'instiller de la réflexion dans les polémiques. J'ai tenté d'amener de la rationalité, de l'esprit républicain et de l'optimisme dans ce qui est dit à la télévision, à la radio, dans la presse et sur les réseaux sociaux. »
Publié aux nouvelles éditions Novice, et illustré par les dessins de Mathieu Sapin, l’ouvrage a été écrit à chaud, grâce à des notes, au gré de ses humeurs et de ses émotions. Devoir de réserve oblige, l’autrice ne crache pas dans la soupe, et ne règle pas de comptes, mais n’hésite pas à prendre position, dans le cadre des valeurs du service public, vilipendé, attaqué de toute part, même de l’intérieur (elle ne s’est pas fait que des amis chez certains syndicats de police…). Elle insiste sur l'importance de la « neutralité du service public », qu'elle était censée incarner : « Ne pas s'engager est insoutenable quand des radicalités antirépublicaines s'expriment, quand on observe des instrumentalisations flagrantes, quand on entend des contrevérités ». 
En publiant ce livre, Camille Chaize savait qu'elle signait la fin de son quinquennat place Beauvau. Elle a logiquement démissionné, en s’assurant qu’elle avait si ce n’est la bénédiction, l’aval de Gérald Darmanin, qui aurait compris « l'intérêt de ce témoignage ». Elle n’égratigne pas Christophe Castaner, son prédécesseur, qui l'avait recrutée, et évoque à peine Bruno Retailleau, qui aurait reçu un courrier de la direction du RN exigeant son limogeage.
Le fait est que le syndicat Alliance Police nationale, classé très à droite, ne doit pas être mécontent de son départ. Dans ce qui est tout sauf un pamphlet, répétons-le, l’autrice précise qu’elle fut confrontée au pouvoir de « syndicats très puissants ». La commissaire s'inquiète, par exemple, que ces organisations se soient arrogé « le droit d'aller crier sous les colonnes de l'Assemblée nationale que 'Le problème de la police, c'est la justice', sans aucune réaction des services centraux (…) Si l’administration choisit d’être faible et de ne pas fixer des lignes infranchissables, nous en paierons tous les conséquences. »
Camille Chaize avait été très choquée d’apprendre qu'un policier avait traité de « pute » une femme victime d’agression sexuelle. La porte-parole du ministère de l'Intérieur avait, à l'époque, condamné des propos « inacceptables », ne cachant pas son « exaspération » face à cette conduite qui, « de toute évidence » n'était « pas un fait isolé ». Ces propos, exprimés sur un plateau de télévision, ont déplu à Alliance, qui s’est fendu d'un tract dans lequel Camille Chaize est accusée d'avoir « dérapé ». Elle revient sur ce grave incident sans détour : « C'est toujours perturbant de savoir que des policiers, des membres de votre maison critiquent, réprouvent ou sont en désaccord avec votre vision. Et que, face aux critiques, ils refusent de voir les faits, ou qu'ils les voient mais qu'ils préfèrent adopter une posture corporatiste et éviter toute remise en question. La réalité a tort, c'est bien connu. »
Elle regrette, aujourd’hui, de ne pas avoir été soutenue lors de cet accrochage : « Je n'aurai pas un seul appel téléphonique des chefs de la police durant cette passe d'armes médiatique et publique », déplore-t-elle. Plus loin, elle s'en prend, sans le nommer, à Matthieu Valet, ancien porte-parole du Syndicat indépendant des commissaires de police, devenu eurodéputé RN, à l'issue des élections européennes de juin 2024 : « (…) il faut surtout se demander qui a accepté que, durant de très longs mois, il puisse courir les plateaux de télévision en dénonçant à chaque fait divers, la « voyoucratie », l'incompétence de la justice ou l'immigration rampante, outrepassant le périmètre de son mandat électif ».
Camille Chaize dit en vouloir aux « hauts responsables qui ont accepté tacitement de laisser faire ce policier syndicaliste (…) Certains estiment qu'il est dans leur intérêt d'agiter les extrêmes et d'acclimater les citoyens à ces discours. J'y vois plutôt une grossière manipulation politique, l'instrumentalisation d'une profession, la quête de rapports de force plus radicaux, au détriment de la cohésion nationale de la neutralité du service public ». Et pour finir, elle revient sur la dissolution de l'Assemblée nationale, en juin, à l'issue des élections européennes remportées par le RN : On y est donc. Au pied du mur. La vague brune prête à s'y fracasser et à franchir le seuil », écrit-elle.
Après quelques jours de réflexion, entre les deux tours des législatives anticipées, cette période de « panique politique », une conclusion s'impose à elle : démissionner en cas d'élection d'un gouvernement « diamétralement opposé à [ses] valeurs et à [ses] principes ». Seul bémol, elle oublie de rappeler que c’est un nouveau sursaut républicain, essentiellement issu de la gauche, qui a fait barrage à l’extrême-droite. « Quelque chose s'est définitivement cassé en moi » (…) D'aucuns n'apprécieront peut-être pas que je me confie ainsi, sans filtre », conclut-elle. « Être porte-parole, ce n'est pas être complaisant mais, au contraire, être exigeant envers son institution. Ce n'est pas être complice mais acteur de sa transformation, aiguillon par un langage vrai et des mots transparents qui changent un état de fait ».
C’est ainsi qu’elle ose évoquer les violence policières, durant la « crise » des « Gilets jaunes », et s’en prend à la virulence, pour ne pas dire plus, de mouvements écologiques radicaux, comme « Soulèvements de la terre », ou « Extinction Rebellion », lesquels soutiennent répondre à la violence par la violence. Le paisible philosophe naturaliste Henry David Thoreau ne prônait-il pas la « désobéissance civile » ?
Camille Chaize réussit le tour de force de sortir de sa « réserve », de manière pondérée (tout un art), avec sérieux, nuance, et gravité, en restant légère, à ses heures, malgré la gravité des évènements auxquels elle est confrontée, aux premières loges. Elle fut la petite souris que nous aimerions être, pour savoir ce qui se passe sous les lambris du sacro-saint pouvoir. On sent qu’elle aime être sous les feux des projecteurs, mais sans se prendre trop au sérieux, encore une fois. Sous l’uniforme de fonctionnaire, obéissante, sommeille une rebelle ambitieuse, tout sauf bornée : « Si l'agent public estime que l'ordre hiérarchique nuit à l'intérêt public, rappelle-t-elle, il n'est pas tenu de se conformer aux instructions ».
Femme engagée, profondément attachée à de vraies valeurs morales, éthiques (pas du genre à écraser son prochain pour avancer, par exemple), elle le restera toute sa vie, a priori. Avec le talent, le courage, et l’énergie qu’elle démontre, nulle doute qu’elle trouvera d’autres grandes et justes causes à défendre. Peut-être dans le domaine artistique, qui sait, car son style d’écriture est claire, sobre, instructif, sans fioritures. Sans pour autant être ennuyeux…


Porte-parole : réflexion personnelle de la voix officielle du Ministère de l’Intérieur
Editions : Novice
Auteur : Camille Chaize
Dessin :  Mathieu Sapin
300 pages
Parution : 23 janvier 2025
Prix : 22, 90 € 
 

 

 


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