Le coeur de l'ombre : un conte fantastique au graphisme de belle facture
- Écrit par : Julie Cadilhac
Par Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ Luc est un petit garçon peureux. Il a dix ans, s'effraie de tout au grand désespoir de sa grand-mère. Il faut dire qu'il est à bonne école : sa mère reste tapie chez elle et cultive l'anxiété. Luc avait une soeur Claire qui a disparu mystérieusement, il y a quelques années... alors quand l'Uomo Nero vient le chercher dans son lit : rien ne va plus! Imaginez si vous deviez vous retrouver face à vos propres peurs, dans un monde peuplé de monstres, au royaume des Ombres. Là-bas, Luc ne va pouvoir compter que sur lui car, même si les apparences sont parfois trompeuses et que les cauchemars ne sont que des chimères de nos propres peurs, revenir du royaume des Ombres n'est pas une mince affaire, surtout quand on apprend qu'on a un rôle à y jouer!
On plonge dans ce conte fantastique avec un plaisir enfantin. Ce récit initiatique est riche d'aventures et l'on se laisse porter par cette fantaisie scénaristique qui rend hommage aux peurs ancestrales. Coup de coeur surtout pour le graphisme aussi singulier que pertinent, aux couleurs oniriques et aux mises en scène attrayantes. Cette bande-dessinée se singularise par les tonalités de couleurs qui varient selon les étapes du récit, son alternance avec le noir et blanc, le jour et la nuit, où percent ça et là des notes de couleurs vives, les jeux de points de vue, de zooms, de plongées et de contre-plongées qui dynamisent et ajoutent encore du sens.
Un ouvrage de qualité porté par trois artistes d'origine italienne dont une jeune femme talentueuse qui, en 2010, travaillait déjà sur le projet et dont nous vous livrons ci-dessous un extrait d'une interview d'elle qui avait été réalisée par Julie Cadilhac en 2010.
Depuis quand dessinez-vous? Avez-vous suivi des formations particulières?
En fait, je crois que je dessine depuis toujours. Ayant grandi à la campagne, à part folâtrer dans les champs, j'avais bien peu d'autres choses à faire ( sourire). Je me souviens qu'à l'âge de 8 ans, j' avais un journal intime où, au lieu d'écrire mes secrets,j'inventais des histoires et ensuite je les illustrais. J'ai toujours aimé faire voyager mon imagination et, de temps en temps, me réfugier dans mon petit monde plein de dessins colorés et d' histoires drôles. Parfois, cette passion m'a amenée à m'isoler involontairement et il est arrivé qu'à l'école, pendant l'heure de la récréation, au lieu de jouer avec mes amis, je restais seule dans mon coin à dessiner ce qui inévitablement attirait l'attention de mes camarades qui s'approchaient de moi et me commandaient des dessins! Mes études ont été guidées par cette passion pour le dessin: j'ai fréquenté d'abord le lycée artistique et ensuite un cours de trois ans pour me spécialiser dans la bande dessinée mais, pour être honnête, j'ai vraiment commencé à apprendre et à améliorer tant le dessin que la couleur, seulement après avoir terminé mes études. En travaillant aux côtés des professionnels tels que Roberto Ricci, qui est mon partenaire de travail: il a fait les story-boards et supervisé notamment le travail sur "June Christy", ma première bande dessinée.
Vous affectionnez les couleurs chaudes....on se trompe? Y-a-t-il une raison à cela?
Beaucoup m'ont fait remarquer que je m'exprime mieux avec des couleurs chaudes, mais honnêtement, je ne sais pas pourquoi....peut-être parce que les couleurs chaudes expriment au mieux ce que je cherche à transmettre en ce moment. Mais je ne dis pas que je n'utiliserai jamais des couleurs froides ou que je ne travaillerai pas sur des images sombres ou tristes, au contraire! mais, pour l'instant , j'ai plus envie de soleil que de ténèbres. Mais comme je n'aime pas me poser des limites et que j’aime plutôt en franchir toujours des nouvelles, je m'y mettrai bientôt. Je dois juste trouver la bonne image et le bon thème, pour profiter au mieux d'une palette de tons froids.
Vos personnages ont des airs de marionnettes... est-ce volontaire?
Honnêtement, non, je n’ai même jamais pensé que mes personnages ressemblent à des marionnettes, mais cela ne me dérange pas du tout. Dans mes images, je cherche toujours la théâtralité: le jeu de mes personnages est à la fois exagéré, affecté, forcé, mais il m'aide à mieux exprimer une humeur ou une situation particulière.Dans la composition et le sujet (quand je peux) je recherche de l'élégance, le détail, la minutie et probablement cela m'amène à une sorte de rigidité qui peut rappeler les marionnettes en pose. En outre, on ne peut pas dire que j'ai un trait très dynamique dans le dessin, bien au contraire, mes images sont très statiques, comme une image fixe et tout ça me plait beaucoup. J'aime aussi d'utiliser un trait très anguleux, géométrique et probablement que ces formes ressemblent à des marionnettes sculptées dans le bois.
Diriez-vous aussi que vos décors sont caméléon des personnages ou est-ce le contraire?
En vrai, ni l'un ni l'autre! Dans mon travail, la composante "couleur " est fondamentale donc lors de l'élaboration, lorsque je crée une image, il est essentiel pour moi, de visualiser déjà l'image en couleur dans ma tête. Aussi, souvent, je laisse l'image crayonné très simple, sans trop de détails, parce qu'ensuite je suis déjà consciente qu'avec un certaine lumière et couleur, l'image définitive fonctionnera. D'autres fois,il m'arrive de dessiner sans réussir à visualiser les couleurs dans ma tête et quand ça arrive, en général, le résultat est catastrophique, je fais plein de croquis, mais, au final, l'illustration ne fonctionne pas. Pour en venir à votre question, l'effet caméléon de mes personnages est facilement explicable : il semble qu'ils assument les couleurs du décor simplement parce que je les adapte à l'atmosphère générale de l'image. Par exemple, si je pense un 'image avec une forte lumière jaune, tous les éléments de l'image seront touchés par cette lumière jaune et ainsi même les personnages. Inversement si je dois représenter une scène de nuit où il n'y a pas de lumière directe, tout est plongé par exemple, dans un bleu,aussi tous les éléments de mon image seront affectés par la couleur bleue et cela ne signifie pas que tout sera bleu, cela signifie que chaque élément conserve sa couleur propre, mais en même temps sera influencé par la "composante nuit" et dans ce cas, par le bleu. C'est comme si j'étendais un voile chromatique sur l'image et que toutes les couleurs de cette image se fondaient en lui. Je ne considère presque jamais les couleurs des diverses composantes de mes images comme éléments individuels, mais comme de petites pièces d'un seul élément. Je ne sais pas si j'ai été claire dans ma réponse, n'est pas très facile pour moi d'expliquer ces choses ... Je ne serais pas une bonne enseignante. Tout ce que je sais en matière de couleur, je le dois à Roberto Ricci dont voici le blog: http://robertoricci76.blogspot.com/
Dans quelle mesure votre pays natal, l'Italie, influence-t-il votre trait?
Je ne sais pas trop, en vérité, je n’y ai jamais réfléchi . Bien que j'aime mon pays, pour ce qui concerne le travail, mon œil était toujours tourné ailleurs, l'Amérique , l'Angleterre et la France bien sûr mais l'Italie a sans doute influencé ma vision des couleurs, c'est peut-être pour cette raison que ma palette couleur est essentiellement composée de couleurs chaudes.(maintenant que je vis en France, en fait, le soleil et le chaleur italienne me manquent beaucoup ! ) Je crois aussi que ce sont ma nature italienne et ma curiosité qui m'ont permise de découvrir, contacter et connaître beaucoup d'artistes vraiment talentueux et qui ont probablement contribué à ma formation professionnelle. Une chose que j'aime beaucoup, en fait, c'est parler avec les collègues, échanger avec eux des idées, des opinions, et les petits secrets du métier et je pense que l’on peut attribuer cela à ma nature italienne, sociable et parfois bavarde!
Quelles sont vos références en matière d'illustration?
Où puis-je commencer? J'ai toujours aimé la peinture. j'ai toujours admiré des Peintres comme, Turner, Waterhouse, Sargent, Ingres, Hopper, N.C. Wyeth, Lucian Freud etc...
Parmi les illustrateurs J'aime vraiment Dulac, Rackham, Rockwell, Leyendecker, pour arriver aux contemporains De Seves, Mackenzie, Gustafson, Claire Wendling, Shaun Tan, Dugina et Dugin...bref la liste est vraiment sans fin, je pourrais continuer pendant des heures … et et je ne vais pas énumérer toutes les auteurs de bandes dessinées que j'aime! Evidemment, je ne peux pas ne pas citer Tim Burton et son univers, qui m'a beaucoup influencé. Et celui de Hayao Miyazaki aussi. En vivant en France ensuite, j'ai eu l'occasion de rencontrer de nombreux illustrateurs et dessinateurs contemporains que je suivais depuis longtemps et je dois dire qu'au-delà d'être des grands professionnels, ils sont aussi des personnes adorables! Internet est également une source de découvertes constantes, en tournant de blog en blog, je découvre chaque jour des dizaines de personnes de talent qui ne font qu'enrichir mon bagage graphique. La source majeure de mon inspiration, l'illustratrice qui a influencé le plusmon style de dessin, un seul nom suffit: Rebecca Dautremer. J'ai eu le "coup de cœur" et je reconnais avoir envers elle un grande dette artistique. Que dire d'autre, sauf, merci Rebecca !
Vous avez illustré un ouvrage de jazz : quels souvenirs de cette collaboration avec un monde musical?
J'adore la musique et pendant une période de ma vie, j'ai même rêvé de devenir une chanteuse de jazz ou soul. Quand j'ai reçu la proposition pour ce projet particulier, je n'ai pas pu refuser. Commencer ma carrière de dessinatrice en illustrant la vie romancée d'une chanteuse jazz des années 50 m'a semblé une belle façon de débuter ! June Christy fait partie de la série bdjazz éditée par "BDMUSIC". C'est une bande dessinée, mais pas seulement, à l'intérieur vous trouverez deux cd musicaux avec les majeurs succès de ce chanteuse! Assurément il me plairait de continuer à mêler dessin et musique et j'espère qu'à l'avenir, j'aurai à nouveau l'occasion de travailler sur des projets de ce genre.
Le coeur de l'ombre
Editions : Dargaud
Scénario : Marco Cosimo D'Amico et Laura Iorio
Dessin : Roberto Ricci et Laura Iorio
En librairie le 29 avril 2016
Prix : 17,95€