Par Guillaume Chérel - Lagrandeparade.com/ "Je ne suis pas nostalgique de notre enfance : elle était pleine de violence, rappelle Elsa Ferrante, à qui veut l’entendre. C'était la vie, un point c'est tout : et nous grandissions avec l'obligation de la rendre difficile aux autres avant que les autres ne nous la rendent difficile." Point de mièvrerie, au contraire dans cette belle histoire d’amitié entre Raffaella Cerullo et Elena Greco, alias Lila la rebelle, et Lenu l’intello… C’est peut-être le seul bémol de l’adaptation en bande dessinée du best-seller, « L’Amie Prodigieuse », déjà légèrement affadie dans la version télé, mais de bonne facture globalement, au regard de la profondeur de l’œuvre.

Pour celles et ceux qui n’ont pas lu la trilogie best-seller de la mystérieuse autrice (on croit savoir qui elle est mais respectons son vœu d’anonymat), il s’agit de l’histoire de deux amies d’enfance, avec pour toile de fond la ville de Naples, depuis les années 1950 – que nous suivons à l’âge adulte, dans les années 70 - , jusqu’aux mouvements de libération de la femme, et l’agitation politique particulièrement violente en Italie dans ces années (« de plomb »).

En faire une bande dessinée est une bonne idée. Cela peut toucher un autre public, et pas seulement enrichir le compte en banque de l’écrivaine, de ses éditeurs, et des adaptatrices, les italiennes Chiara Lagani et Mara Cerri, traduites par Bettina Kee, en France. Elle peut faire prendre conscience aux nouvelles générations de filles, et de garçons, que rien n’est définitivement acquis, au moment où les droits des femmes sont régulièrement remis en cause dans le monde entier.
Pour rappel, Elena et Lila ont grandi dans un quartier pauvre de la capitale napolitaine, et bien qu'elles soient excellentes à l’école, ce n'est pas la voie qui leur est promise. Elles sont censées se marier, faire des enfants et basta. Lila, la plus douée, a priori, abandonne les études très tôt pour travailler dans l'échoppe de cordonnier de son père. Elena, soutenue par son institutrice, va au collège, puis au lycée, enfin à l’université, où elle rencontre des jeunes de milieux bourgeois. Dès lors, les chemins des deux amies ne cesseront de se croiser, et s'éloigner, sur fond d’Italie en ébullition.
Or donc, « L'amie prodigieuse » retrace le destin de deux héroïnes confrontées au patriarcat, en général, et à la société capitaliste en particulier, où les plus forts, ou plus malins s’en sortent plus ou moins. L’adaptation en BD du premier tome contentera les fans, même si le graphisme crayonné peut déstabiliser de prime abord. En effet, certaines planches sont de véritables œuvre d’art aux couleurs tour à tour pastel, brumeuses, sombres, grises, puis lumineuses, voire rougeoyantes, notamment quand les feux d’artifice et la colère éclatent. La palette de couleurs peut perturber et certaines ellipses perdront les néophytes. L'amitié complexe, faite de rivalité, complicité, fascination et rejet, de Lila et Lenù n’est pas rendue à sa juste valeur par les dialogues forcément plus concis qu’à la télévision, ou en littérature, surtout, où le contexte, et l’atmosphère sont rendus avec plus de variété, et de nuance.

L’histoire semble plus douce et poétique dans ce roman graphique que dans la saga romanesque. Pour leur décharge, la mission était quasiment impossible, tant la trame originale est riche et passionnante, car pleine de rebondissement. Les émotions passent moins en BD. Difficile de suivre le fil conducteur, en 250 pages, pour décrire vingt ans d’existence. Quoiqu’il en soit, cette adaptation ravira les « aficionadas » et autres tifosi d’Elena Ferrante, une grande écrivain de littérature populaire italienne, comme l’ont été Hugo, Dumas, Balzac et Zola chez nous. Idée de cadeau de Noël idéal.

L’amie prodigieuse
Tome 1 
Editions : Delcourt
Collection : Mirages
Autrices : Elena Ferrante, Chiarra Lagani et Mara Cerri
Traduit de l’Italien par Bettina Kee
256 pages
Patution : 
Prix : 29, 95 €