Cécile Lecomte : "Les écoles et bibliothèques sont des lieux de visibilité et de légitimité très importants."
- Écrit par : Claude Clément
Par Claude CLÉMENT - Lagrandeparade.fr/ Interview de Cécile Lecomte, éditrice et créatrice de la maison d'éditions « LA PIMPANTE ».
J’ai lu qu’avant de vous lancer dans l’édition vous avez longtemps travaillé avec les enfants, écrit pour eux, travaillé avec eux. Vous étiez donc auteure ? Quels sont les ouvrages que vous avez écrits ?
J’étais professeur de théâtre. Une partie des ateliers consistait à l’apprentissage de l’improvisation théâtrale. J’ai écrit beaucoup de pièces à partir des improvisations des enfants, qui étaient jouées en fin d'année. D’autres classes travaillaient sur des textes d’auteurs édités. J’essayais d’alterner d’une année sur l’autre les expériences vécues par les enfants (interprétation d’une création à partir d’un travail d’improvisations collectives / interprétation d’une œuvre). Ces pièces taillées sur mesure pour des groupes d’enfants n’avaient pas pour but d’être éditées mais jouées.
Parlez-nous de cette expérience. En quoi vous a-t-elle été utile pour créer votre maison d’édition ? Éditez-vous aussi des pièces de théâtre ?
L’expérience de la réflexion sur des mises en scènes — des manières de mettre des personnages, situations et mots sur une scène — a trouvé un écho dans le travail de mise en images des textes. Le travail d’équipe, dans lequel j’ai baigné durant ces années de théâtre, se retrouve dans les échanges et recherches avec les auteurs et illustrateurs. La Pimpante édite des albums illustrés et des romans pour enfants et adolescents. Il n’y a pas de collection théâtrale, par contre les dialogues tiennent une place importante dans plusieurs albums, comme "Halte-là Oméga !" ou "L'intrépide Augustine" par exemple.
Parlez-nous aussi de votre formation en psychologie. Pensez-vous que, lorsqu’on s’adresse aux enfants, on doit forcément avoir étudié cette science ?
Il n’y a aucune obligation de formation dans ce métier. Moi-même n’ai pas suivi le cursus de formation pour devenir éditeur. Je viens du théâtre. Des mots et de l’image scénique. De la pédagogie également, ayant animé de nombreux ateliers pour enfants et adolescents. A cette époque, je me suis naturellement intéressée à la psychologie de l’enfant, au développement de son cerveau et de ses émotions, et je me sers de ces connaissances aujourd’hui dans mon nouveau métier.
La majorité des maisons d’édition « Jeunesse » semble avoir pour buts d’accompagner l’enfant dans son apprentissage de la vie, d’élargir sa vision du monde, de répondre aux questions de notre temps, de lui donner les clés pour appréhender notre société… En quoi « La Pimpante » est-elle vraiment différente des autres maisons d’édition ?
La Pimpante n’a jamais affiché l’ambition d'être "différente". C’est une maison qui soigne ses histoires, comme le font les bonnes maisons d’édition, et elles sont nombreuses. Dans les boulangeries, on trouve toujours des croissants, mais les bons boulangers n'affichent pas l'ambition d'être différents des autres boulangers, juste de faire de très bons croissants. Selon le soin apporté à leur fabrication, certains seront meilleurs que d'autres. C'est pareil pour La Pimpante, elle veut juste éditer de bonnes histoires au service des enfants et des adolescents. Une différence technique se situe peut-être dans le fait qu’elle édite de nombreuses créations en format A5 souples, à petits prix. Certains de ces ouvrages ont remporté des prix : "Patrovitt l’escargot en retard" et "Pour te dire".
Quels sont les nouveaux thèmes que vous souhaiteriez maintenant aborder dans vos ouvrages ?
Les deux prochains titres abordent : l’un, de manière poétique, la grossesse de sa mère pour une enfant qui va avoir un frère ou une sœur, l’autre les étapes d’une vie de vieux matou qui se termine par une transmission de savoir envers un chaton orphelin qu'il va prendre sous sa protection.
Parlez-nous un peu de vos auteurs et de vos illustrateurs. Comment les choisissez-vous ? Ce sont eux qui vous apportent un projet ou bien est-ce vous qui leur en proposez ?
Au commencement de La Pimpante, j’ai surtout reçu des projets complets. A présent, la plupart du temps, des auteurs me proposent des projets, que je propose à mon tour à des illustrateurs.
J’ai vu que vous faisiez appel au mécénat, afin de développer votre maison. Or, le mécène doit forcément trouver un intérêt dans son investissement. Quelles formes peut prendre ce mécénat ? Simple participation à un projet existant ? Commande d’un album précis en relation avec les préoccupations du mécène ? Ex : un organisme public sur un sujet écologique, une firme fabricant un produit en relation avec le sujet de l’histoire. Valorisation d’un territoire ? D’un élément du patrimoine ?
Il y a effectivement possibilité de verser un don pour les personnes qui souhaitent soutenir La Pimpante via le site. Il n’y a pas eu de recherche de mécénat pour le moment. Par contre, il y a parfois des partenariats pour aider à l’édition d’un livre avec une structure dont l’activité est en rapport avec le thème d’un livre.
Pour vendre vos livres et atteindre le public, passez-vous par un distributeur ?
J’ai repris la diffusion afin qu’elle soit plus ciblée, je travaille avec un distributeur qui livre les commandes des libraires.
Pensez-vous que le rôle des enseignants et des bibliothécaires est important dans la réussite d’une petite maison d’édition ?
Très. Les écoles et bibliothèques sont des lieux de visibilité et de légitimité très importants.
Il naît et disparaît beaucoup de petites maisons d’édition. Quels sont, d’après vous les ingrédients de la réussite ou de l’échec ?
Des maisons de qualité ferment chaque année. Le système des retours de livres invendus n’est pas cadré par la loi qui ,sur ce point, ne protège pas les petites maisons. Pour les gros groupes c’est moins ennuyeux car ils sont souvent diffuseurs et distributeurs, sous d’autres noms. L’argent de la diffusion, de la distribution, des retours et des frais qu’ils engendrent change de poche mais reste dans les gros groupes. Cet avantage leur assure d’ailleurs la disparition de beaucoup de petites maisons qui ne pourront supporter des taux de retours qui deviennent de plus en plus gros à l’heure actuelle. En effet, la surproduction éditoriale entraine des retours en masse (il faut toujours vendre plus de nouveautés pour pallier aux retours précédents), il n’y a aucune loi pour limiter la surproduction de certains groupes car nous sommes dans un système économique qui ne le permet pas. Le nombre de livres mis au pilon chaque année doit être un désastre écologique (sans compter les allers et retours des livres invendus). Ce serait intéressant d’avoir accès aux chiffres. Cette surproduction limite la visibilité des petites maisons. Par exemple, les librairies sont tellement assaillies de parutions à Noël que beaucoup d’ouvrages de petites maisons ne peuvent trouver de place sur les étagères. De par les termes des contrats souvent proposés aux petites maisons, diffuseurs et distributeurs ne rendent pas le montant des prestations sur des ventes qui finalement s’annulent, le risque n’est, dans ce cas, pas partagé. Et les frais de retours des livres coûtent cher. En ajoutant les frais d’impression, les droits d'auteurs et les frais fixes, les impôts (dont un impôt sur le stock, or une petite maison vend en général plus lentement qu’une grosse), l’expert comptable, les cotisations dues au RSI même quand vous ne vous rémunérez pas encore, les locations de stands de livres, le carburant et bien d’autres frais encore, au final, un jeune éditeur ne se rémunère pas. Et cela peut durer plusieurs années.
Quels sont vos souhaits pour les prochaines années et comment pensez-vous les concrétiser ?
Stabiliser le système économique de La Pimpante et publier les beaux ouvrages en cours. En ce qui concerne la diffusion, je préfère attendre un peu encore avant de signer un contrat. J’ai déjà un distributeur, c’est plutôt bien. Et avec beaucoup de libraires le contact est direct et confiant, ce qui, en plus d’être agréable, est très précieux lorsqu’on fonde une maison.