Antoine Wellens : "Le théâtre n’est pas seulement le miroir du monde, c’est aussi tenter de lui donner une nouvelle forme."
- Écrit par : Julie Cadilhac
Par Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ Antoine Wellens est auteur et metteur en scène pour la cie Primesautier Théâtre. Il a publié "Elektrik Capharnaüm" aux éditions de la Musaraigne, "L’antégone D’ ou que dit le cochon quand le fermier l’égorge ?" chez L’Harmattan et "Est-ce qu’un cri de lapin qui se perd dans la nuit peut-encore effrayer une carotte ?" aux éditions de l’Appartement.
Voilà pour la présentation conventionnelle d'un artiste...qui n'a décidément rien de conventionnel dans son esthétique. Son approche dramaturgique ne peut laisser indifférent tant elle est singulière et source de réflexions passionnantes. Antoine Wellens secoue nos conceptions du théâtre, nos habitudes de spectateur et porte toujours sur les planches des textes diablement bien composés et sociologiquement pertinents. Sa dernière création " Mais il faut bien vivre!" nous a séduits par sa capacité à faire vivre sur le plateau trois niveaux narratifs : la fable, la soap et la fiction. Bien qu'en résonance avec l’œuvre du sociologue anglais Richard Hoggart - comprenez en filigrane que le propos est intellectuellement ambitieux -, l'humour n'est pas en rade, les comédiens sont justes et complices, la scénographie et les jeux de lumière stimulants...tout cela contribuant à faire de "Mais il faut bien vivre!" un spectacle accessible et....osera-t-on le dire? distrayant. Une pièce donc que l'on vous recommande pour son côté OTNI ( Objet Théâtral Non Identifié) de facture fort bien réussie. Ecoutons maintenant le démiurge que nous remercions vivement pour son propos passionnant !
Votre pièce " Mais il faut bien vivre!" est librement inspirée des écrits de Richard Hoggart : doit-on parler d'une écriture collective qui s'est nourrie d'improvisations?

Nous pouvons effectivement parler d’écriture collective. Celle-ci s’est faite en plusieurs temps. Les premières phases de résidence ont été dédiées au déchiffrage des livres d’Hoggart : "La culture du pauvre" et "33 Newport Street, autobiographie d’un intellectuel issu des classes populaires anglaises". Chacun des acteurs (Fabienne Augié, Amarine Brunet, Virgile Simon et Jean-Christophe Vermot-Gauchy) ainsi que Jean Constance (sociologue) et moi-même proposions, pendant les matinées de travail, des lectures des passages que nous avions retenus. Chacun s’exprimant sur l’importance qu’il donnait à ce texte. L’après-midi, de manière solitaire, chacun travaillait à l’écriture d’une séquence théâtrale à partir de cet extrait. Le soir nous les lisions et en tentions une première approche par le plateau. Il s’agissait d’entrer de manière plurielle dans l’œuvre. D’envisager l’importance de l’œuvre hoggartienne pour chacun, sans présupposé, sans a priori, par des entrées multiples afin d’en trouver les points d’achoppement… Puis Jean et moi, nous avons récolté les nombreuses séquences et nous nous sommes attelés à l’établissement du texte de la pièce. Nous en avons défini la fable et la cohérence, posant un système dramaturgique à triple narration (Réalité plateau / Fable / Fiction dans la fiction). Nous avons gardé certaines citations d’Hoggart servant de levier à une création originale. Ce texte a ensuite été retravaillé avec les acteurs durant le travail de mise en scène en va-et-vient constant entre le travail du plateau et celui de la table jusqu’à la création.
Qu'est-ce qui vous a séduit d'emblée dans les écrits d'Hoggart? Comment avez-vous découvert cet auteur?
Permettez- moi de commencer par la deuxième question. Hoggart est arrivé sur notre table artistique il y a un bon moment déjà lors d’un travail documentaire avec des étudiants que nous menions avec Virgile Simon et Jean Constance. Une étudiante voulait parler du déracinement, des problèmes inhérents à l’acte de s’éloigner de son milieu d’origine par la culture. Hoggart est revenu plus tard sur un projet concernant le langage via les expressions populaires dont "La culture du pauvre" regorge. C’était en 2014 au début des mouvements intermittents. A sa lecture, une foule de questions me sont apparues : comment se construit une culture de masse ? Dans quel but ? Comment sommes-nous complices de son établissement ? Qu’est-ce qu’être élitiste ? Qu’est-ce qu’être populiste ? Comment sans y penser basculons-nous d’un côté comme de l’autre ? Dans notre monde théâtral devenu une industrie culturelle comment se situer dans ce débat-là ?... Il m’a semblé que ces questions étaient les nôtres. Qu’en pleine crise tant sociale que de sens nous devions nous en emparer (en tant que producteurs de spectacle et acteurs artistiques) et tenter de reposer la question de l’acte artistique au sein de ces tensions. Ce qui m’a immédiatement séduit dans l’œuvre sociologique c’est justement cet entre-deux mondes, ce chapitre intitulé « eux et nous ». A l’époque d’Hoggart, le monde était plus manichéen : patronat/ politique / média d’un côté, et ouvriers, gens du peuple de l’autre. Aujourd’hui j’ai cette sensation que nous sommes justement globalement dans cet entre-deux, dans cette errance sociale. Les termes « lutte des classe » et « peuple » semblent devenus ringards, obsolètes, démodés alors qu’au contraire il faudrait les réactiver, les réinterroger. Le cynisme ambiant finit de ridiculiser ces termes et de les mettre au tapis, il nous paralyse, nous empêche de combattre. « C’est pas si pire », « C’est comme ça », « faut bien s’adapter »… Hoggart par ses ouvrages a réactivé chez moi l’envie de traiter théâtralement ces questions, d’ouvrir au sein de la Cie Primesautier un chantier autour de nos propres responsabilités. Ces questionnements impactent alors de manière différente toutes les personnes au travail autour de ce projet, des acteurs à Hélène Sorin avec qui je travaille à la production et au développement de la Cie. C’est bien souvent tout le processus de travail de la Cie qui se retrouve au cœur de ces spectacles.
[bt_quote style="default" width="0"]C’était en 2014 au début des mouvements intermittents. A sa lecture, une foule de questions me sont apparues : comment se construit une culture de masse ? Dans quel but ? Comment sommes-nous complices de son établissement ? Qu’est-ce qu’être élitiste ? Qu’est-ce qu’être populiste ? Comment sans y penser basculons-nous d’un côté comme de l’autre ? Dans notre monde théâtral devenu une industrie culturelle comment se situer dans ce débat-là ?... Il m’a semblé que ces questions étaient les nôtres. Qu’en pleine crise tant sociale que de sens nous devions nous en emparer (en tant que producteurs de spectacle et acteurs artistiques) et tenter de reposer la question de l’acte artistique au sein de ces tensions.[/bt_quote]
Beaucoup d'humour dans cette mise en scène : on ressent un décalage constant - délicieux - entre le sérieux documentaire et réflexif de la démonstration et la vie qui bouillonne, respire et s'amuse...On se trompe? 

Non, c’est même très juste. J’ai toujours en mémoire la phrase que fait dire Brecht à son Galilée et qui se trouve dans ce spectacle : « Penser est le plus grand divertissement de l’espèce humaine ». Je rajouterai aussi que penser est un plaisir. Explorer les impasses, les nouvelles ramifications que chaque question suscite, tenir un sujet, le partager avec d’autres, s’engueuler passionnément pour tenter de définir, de décortiquer, de comprendre et d’entrevoir de nouvelles possibilités est un exercice qui sert de base à toutes nos créations. C’est à cet exercice que nous convions le public. C’est exactement cela que nous cherchons à incarner sur le plateau. Montrer des personnes en train de réfléchir ensemble et voir ce que cela provoque comme jeu, comme construction théâtrale. Comme si l’objet était défini en direct et que la représentation se construisait par elle-même, par ce que les acteurs nomment au fur et à mesure qu’ils avancent dans leur recherche et dans l’histoire de la pièce. Le théâtre n’est pas seulement le miroir du monde, c’est aussi tenter de lui donner une nouvelle forme. C’est là un de ses pouvoir me semble-t-il… Envisager sur un plateau un groupe de personnes se mettant au travail pour redessiner, inventer, imaginer les contours de leur monde me semble une utopie réaliste ainsi qu’un point de départ d'une recherche esthétique.
[bt_quote style="default" width="0"]Aujourd’hui j’ai cette sensation que nous sommes justement globalement dans cet entre-deux, dans cette errance sociale. Les termes « lutte des classe » et « peuple » semblent devenus ringards, obsolètes, démodés alors qu’au contraire il faudrait les réactiver, les réinterroger. Le cynisme ambiant finit de ridiculiser ces termes et de les mettre au tapis, il nous paralyse, nous empêche de combattre. « C’est pas si pire », « C’est comme ça », « faut bien s’adapter »… Hoggart par ses ouvrages a réactivé chez moi l’envie de traiter théâtralement ces questions, d’ouvrir au sein de la Cie Primesautier un chantier autour de nos propres responsabilités. [/bt_quote]
Montrer les tensions existantes entre culture populaire et culture dominante : voilà l'enjeu de votre pièce. De même qu'Hoggart universitaire venant d'un milieu populaire s'interrogeait, pensez-vous arriver à vous adresser au plus grand nombre dans votre travail?
C’est une question extrêmement importante et, effectivement, au cœur de notre création. Pourquoi l’art devrait-il s’adresser à tous ? Et qu’est-ce que cela veut dire de s’adresser à tous ? « Est-ce que parler pour le plus grand nombre c’est encore dire quelque chose ? » dit une des répliques de la pièce. Le théâtre est un art minoritaire. Les personnes qui aiment le théâtre vont au théâtre… Est-ce que le foot est censé s’adresser à tous ? Aujourd’hui on accuse souvent violemment l’art d’être élitiste s’il n’y a pas compréhension immédiate, s’il n’y a pas ce qu’on vient y chercher. Mais le statut d’une œuvre, à mon sens, est autre chose. Pour ma part j’aime que le théâtre me montre d’autres manières de voir, de penser, de sentir le monde. Qu’il bouscule mes grilles d’analyse. Je ne viens pas au théâtre pour voir ce que je connais déjà mais bien pour y éprouver, pour y découvrir une autre vision loin des clichés d’usage. Hoggart a beaucoup insisté sur ces points-là dans son œuvre. Finalement la culture des élites c’est celle que cette dernière vend au plus grand nombre en pensant à sa place. « Ça, c’est pour mon public ! », « C’est simple, il va comprendre ! », « il va bien rire, il va être content… » C’est à mon sens insultant et c’est retourner le problème. C’est participer au délitement de l’exigence de l’art et de son public. C’est dire que le public (populaire évidemment) n’est pas capable de penser par lui-même, n’est pas capable de sentir, découvrir une œuvre. C’est nier son intelligence et parier sur sa bêtise. Au contraire il faut défendre des spectacles exigeants, sortir des formats préétablis, offrir de nouvelles terres théâtrales à arpenter et à découvrir. Une œuvre n’est pas construite pour tous, elle a son sens singulier, sa propre recherche pour définir ses contours d’objet artistique, sa cohérence. Dans notre rapport au public nous ne pensons pas à sa place mais pensons la place que nous souhaitons lui donner au cœur de cette expérience théâtrale. A quoi le convions-nous ? A une expérience de pensée. Pour ce faire, les acteurs ne sont en aucun cas surpuissants, tels des êtres savants au dessus du public. Nous voulons éprouver la difficulté de penser le monde mais aussi sa joie, en direct, semblant dire : regardez c’est difficile pour « eux » sur le plateau d’établir un discours, et, ce faisant, laisser l’interstice nécessaire pour que le public puisse mentalement s’immiscer dans le jeu et produire dans le temps de la pièce sa propre réflexion. Et cela même si la pièce ne devient qu’un support lointain… Tant qu’elle produit l’envie de penser, cela me convient parfaitement.
[bt_quote style="default" width="0"]Il faut défendre des spectacles exigeants, sortir des formats préétablis, offrir de nouvelles terres théâtrales à arpenter et à découvrir. Une œuvre n’est pas construite pour tous, elle a son sens singulier, sa propre recherche pour définir ses contours d’objet artistique, sa cohérence.[/bt_quote]
Pour tenter de vous adresser au plus grand nombre, Vous avez choisi d'instaurer sur le plateau trois niveaux narratifs liés par un même sujet à explorer : la fable, la soap et la fiction. Pourriez-vous définir plus précisément chacun de ces niveaux à nos lecteurs?

Nous avons abordé ce travail par le prisme de la culture et des tensions existantes entre culture populaire et culture des élites. Dans la culture du pauvre Hoggart parle souvent de références qui nous sont trop éloignées comme les romans photos ou les romans de gare… Nous avons choisi (comme référence à la culture populaire d’aujourd’hui) de créer une fiction sous forme de série TV reprenant les thématiques du sociologue. A savoir Mary une fille du peuple fiancée à Albert. Mary travaille à l’usine, elle est malade à cause des solvants qu’elle utilise sur son lieu de travail. Elle va se faire soigner chez le docteur James (un grand médecin qui vient des classes populaires) qui tombe amoureux d’elle. Il n’aura donc de cesse de tenter d’extirper Mary de son milieu en lui promettant une vie nouvelle. C’est par un triangle amoureux que nous construisons une fiction dans la fiction. Mais fidèles au théâtre réflexif nous montrons aussi les acteurs de ce soap, après le tournage au chevet d’une certaine tante Annie. Ils s’interrogent sur le soap qu’ils sont en train de tourner, sur leurs aspirations, sur la manière de représenter ce qui est considéré comme culture populaire. Enfin il y a le processus même de notre recherche qui entre en ligne de compte. Nous voyons donc les acteurs jouant les acteurs qui jouent les personnages du soap… Eux aussi s’interrogent sur la pièce qu’ils produisent devant les spectateurs. Nous nous mettons donc en perspective, au cœur de l’expérience. Jouant avec une matière théorique exigeante mais aussi avec les codes du soap opéra… Nous nous posons nous-mêmes les questions afin de mieux définir les contours de notre œuvre. La pièce en elle-même est une réponse esthétique à ces thématiques, tiraillée, ballottée, secouée par les errances des acteurs en train de réfléchir à ce qu’ils donnent à voir. Cette triple narration souligne les rapports complexes des questions qui se posent quant à la fabrication des objets artistiques et l’industrie culturelle dont nous faisons nous-mêmes partie comme en témoigne un extrait de la pièce : « S’il n’y a pas de valeurs, on ne risque pas de transgresser quoi que ce soit : « des millions de lecteurs, d’auditeurs et de spectateurs ne peuvent avoir tort ». Voilà comment, les ressorts de l’âme se détendent sans bruit. A force de privilégier le souci de « prendre du bon temps », toutes les autres exigences doivent s’évanouir, mais nous manquerons alors de toute référence pour apprécier ce « bon temps » et le divertissement lui-même deviendra une simple routine. Le plus grave reproche qu’on puisse adresser aux formes modernes du loisir n’est pas tant qu’elles dégradent le goût, mais qu’à force de le surexciter elles l’émoussent et finalement le tuent. Les divertissements détruisent la sensibilité à la racine, en sorte qu’il nous devient bien difficile de nous reprendre et de s’apercevoir que le gâteau qu’on nous offre n’est que de la sciure de bois. (Au public) Tante Annie ! Chère tante Annie…Mais qu’est-ce tu regardes ? (Long silence, tous regardent le public en attente de la réponse.)»
[bt_quote style="default" width="0"] Le plus grave reproche qu’on puisse adresser aux formes modernes du loisir n’est pas tant qu’elles dégradent le goût, mais qu’à force de le surexciter elles l’émoussent et finalement le tuent. Les divertissements détruisent la sensibilité à la racine, en sorte qu’il nous devient bien difficile de nous reprendre et de s’apercevoir que le gâteau qu’on nous offre n’est que de la sciure de bois. [/bt_quote]
Du côté du dispositif scénographique, vous jouez avec un jeu de chaises...qui permettent de créer de très beaux tableaux sur scène. Accessoires symboliques aussi de la discussion, de l'échange? 

Dans nos créations les éléments scénographiques sont choisis avec parcimonie. Nous aimons l’espace vide afin que l’écriture des corps, des déplacements, que la matière textuelle et les relations entre les acteurs soient le plus visible, le plus inventif possible. Peu de choses doivent venir entraver ce combat avec la pensée collective et le jeu des acteurs. Très souvent dans l’œuvre d’Hoggart l’auteur fait référence à des lieux publics (Hôpital, Assistance publique…) des lieux où l’on attend souvent dans l’inquiétude. Des espaces qui d’ailleurs sont très « scénographiés » pour accueillir « dignement » les personnes. Le jeu des chaises, leurs alignements, leurs formes géométriques représentent ces différents espaces pensés pour le plus grand nombre, censés rentabiliser l’espace et le temps d’attente. Et effectivement cela correspond aussi à l’ouverture sans cesse renouvelée d’une parole que l’on pourrait ouvrir chez son dentiste ou dans des salles d’attente, chez le médecin ou dans un hôpital. Cela permettait de renforcer aussi les endroits de parole souhaités en fonction de la triple dramaturgie de la pièce. En rond pour l’entre-soi des acteurs parlant de la pièce en train de se faire, en ligne face public pour une adresse directe, en banquette comme décors de la fiction, du soap-opéra… D’autre part la manipulation des chaises par les acteurs oblige à un jeu concret, à un travail en direct relayant bien ce labyrinthe théâtral de la pensée hoggartienne : On n'en sort pas… Nous serons toujours ici sur ces banquettes à deviser sur le monde… Nous n’avons que cet espace à réinventer en permanence pour les besoins de notre travail : produire du sens et de l’image… Enfin l’expression « avoir le cul entre deux chaises » a parcouru notre lecture d’Hoggart : « je pense à tous ceux qui, comme moi, ne sont pas entraînés à la course de fond qu’est la vie, à ceux qui songent à changer de cœur et d’esprit, qui se posent des questions insolubles sur l’univers et la société parce qu’ils sont assis le cul entre deux chaises, « entre un monde mort et un monde incapable de naître ».
Côté lumières, vous avez opté pour des éclairages au néon qui font office également de portes d'entrée et rappellent le cadre médicalisé. Mais également pour de nombreux passages dans une obscurité relative...des effets entre chien et loup renforcés par la vision du plateau à travers un écran de tulle...pour donner l'impression aux spectateurs que sa vue est brouillée ? Que notre regard est empêché de bien voir par les codes, clichés et autres que la société véhicule?
Depuis la création de la Cie nous travaillons l’espace scénographique par la lumière et les éléments qui la composent (lustre, lampadaire, fluo, structures lumineuses inventées pour les spectacles) porteurs de sens et de signes sur le plateau en tant qu’objets. A chaque fois nous trouvons un dispositif pour que ce soient les acteurs qui agissent sur le déclenchement de la lumière et des effets sonores (du simple interrupteur aux télécommandes de ce spectacle) et ce, afin que les acteurs soient maîtres du rythme total du spectacle. Nous menons, depuis plusieurs spectacles maintenant, une collaboration fructueuse avec Nicolas Buisson (Régisseur), Elise Sorin (Plasticienne) et Mikaël Gaudet (Musicien) inventant ensemble les scénographies ainsi que les systèmes interactifs faisant de ces dernières un autre personnage. La scénographie doit solliciter le jeu des acteurs autant qu’elle doit être sollicitée. Concernant les différentes tonalités d’éclairage de la pièce nous jouons effectivement entre les clairs-obscurs en permanence. Les corps, les silhouettes racontent autant que les visages et leurs expressions. Le noir, l’obscurité, la clarté relaient souvent ce que dit ou sous-tend le texte ou les thématiques de chaque séquence. Ce système permet aussi de renforcer les changements et les métamorphoses de l’acteur. Que se passe-t-il quand l’ambiance change et pas le jeu de l’acteur ? Et l’inverse ? Avons-nous changé de lieux, d’espace, de temps, d’émotion ??? Cela offre donc de nouvelles nuances tant dans l’imagerie du spectacle que dans sa réception. D’autre part, pour symboliser le lieu de l’hôpital il nous semblait judicieux d’utiliser l’éclairage au fluo. Eclairage que nous retrouvons dans tous les lieux public et auquel sont soumis en permanence tous les visiteurs de ces espaces. Un éclairage dur, âpre, qui provoque aussi chez le spectateur un besoin de mise au point permanent, voire de persistances rétiniennes. C’est une source d’éclairage qui sollicite le public, qui creuse les visages des acteurs, leur procure différents masques en fonction de leur position par rapport à la source lumineuse. Une sorte de « maquillage impermanent » en quelque sorte. Enfin, l’éclairage, comme les jeux, l’imagerie ou le texte est aussi source d’écriture et il a un sens dramaturgique affirmé. Il contribue donc à épaissir le mystère de l’œuvre ainsi qu’à , paradoxalement, en « éclairer » parfois le sens. Il sert et participe à la fluidité de l’œuvre, procédant par contaminations, glissements plutôt que par rupture.
[bt_quote style="default" width="0"]Pour symboliser le lieu de l’hôpital, il nous semblait judicieux d’utiliser l’éclairage au fluo. Eclairage que nous retrouvons dans tous les lieux public et auquel sont soumis en permanence tous les visiteurs de ces espaces. Un éclairage dur, âpre, qui provoque aussi chez le spectateur un besoin de mise au point permanent, voire de persistances rétiniennes. C’est une source d’éclairage qui sollicite le public, qui creuse les visages des acteurs, leur procure différents masques en fonction de leur position par rapport à la source lumineuse. Une sorte de « maquillage impermanent » en quelque sorte. Enfin, l’éclairage, comme les jeux, l’imagerie ou le texte est aussi source d’écriture et il a un sens dramaturgique affirmé. Il contribue donc à épaissir le mystère de l’œuvre ainsi qu’à , paradoxalement, en « éclairer » parfois le sens. Il sert et participe à la fluidité de l’œuvre, procédant par contaminations, glissements plutôt que par rupture.[/bt_quote]
Quelles ont été vos sources d'inspiration pour " Mais il faut bien vivre !"?
Sans équivoque David Lynch et sa série Twin-Peaks. Il a réussi une chose merveilleuse avec cette série. A la fois il a repris tous les codes de la série policière populaire auxquels le public américain était accoutumé et il est parvenu, par sa réalisation singulière, à en faire une œuvre artistique à part entière. Nous nous sommes immergés dans cette série lors de notre première résidence. Nous ne voulions pas que le soap soit juste une blague, un effet facile se moquant de la culture populaire. Il fallait aussi que notre série reprenne sérieusement les questionnements hoggartiens et soit en plus traitée de manière artistique. Il était important pour nous, comme le dit encore ce cher Richard, de « dégager les valeurs de la culture populaire plutôt que de s’en moquer ». Il fallait donc que l’on s’y frotte, que l’on s’en empare… Ce fut la grosse difficulté de notre travail. Heureusement David Lynch a été pour nous un merveilleux guide dans cette aventure et sur de nombreux points : la construction dramaturgique, l’ouverture des possibilités des jeux, et l’univers musical de la série. Le musicien Mikaël Gaudet s’en est emparé lorsqu’il a composé les différents thèmes musicaux de la pièce. D’autres références filmiques, bibliographiques, théâtrales ont aussi été convoquées par chaque personne de l’équipe et parcourent la pièce de manière plus discrète… Citons par exemple les Pinçon-Charlot avec leur ouvrage "La violence des riches" ; se retrouve aussi un poème de mon père le poète Serge Wellens ; Brecht a également été un temps convoqué… nous avons aussi regardé l’interview de la metteure en scène Marie-Josée Malis à Avignon en 2014. Chaque création est l’occasion d’échanger des références qui servent à la construction d’une culture commune du projet.
Ceux qui connaissent vos travaux précédents constateront que l'on découvre une nouveauté : celle de l'apparition de personnages...d'un travail d'incarnation des comédiens. De nouvelles aspirations esthétiques? ou c'était nécessaire, simplement et justement, pour évoquer la culture populaire?
Chaque nouvelle création nous conduit à une nouvelle recherche des codes de jeux et de mise en scène. La base de notre recherche esthétique est l’acte de penser en commun sur un plateau. Après, chaque sujet, texte ou questionnement amène de nouvelles zones de recherches théâtrales, de nouvelles règles de mise en scène propres à chaque projet. Ici, avec Hoggart nous ne pouvions faire l’économie de présenter des personnages de fiction dits populaires et de les interroger par un mouvement réflexif. Nous voulions aussi éviter de tomber dans un « pensum » plat et moralisateur sans prendre le risque de l’incarnation de ces personnages. Nous voulions nous trouver en tension entre une incarnation dite classique et des jeux dits de « réalité plateau ». Nous souhaitions être entre deux mondes, entre deux systèmes d’incarnation, se nourrissant et se complétant l'un l'autre. C’était là aussi un moyen de représenter ce fameux phénomène d’errance sociale propre à Hoggart et devenu aujourd’hui une manière d’être d’un pan de la société. Nous désirions clore cette séquence historique de l’acteur divisé, clivé et déchiré que nommait Vitez en son temps pour entrer dans un nouveau système de jeu : celui de « l’acteur recomposé », acceptant ses différents masques, cheminant avec son personnage sans qu’il y ait forcément violence entre eux mais plutôt un dialogue enrichissant, nourrissant, revigorant pour le jeu de l’acteur.
[bt_quote style="default" width="0"]Nous voulions aussi éviter de tomber dans un « pensum » plat et moralisateur sans prendre le risque de l’incarnation de ces personnages. Nous voulions nous trouver en tension entre une incarnation dite classique et des jeux dits de « réalité plateau ». Nous souhaitions être entre deux mondes, entre deux systèmes d’incarnation, se nourrissant et se complétant l'un l'autre.[/bt_quote]
Enfin, dans quelle mesure votre réflexion personnelle et sur le plateau à partir de ses écrits vous a-t-elle permis d'outrepasser la pensée d'Hoggart, de la compléter, de vous en éloigner sur certains points?
La question est immense et finalement très intime… L’enrichissement que m’a apporté ce travail énorme… Peut être une nouvelle acuité sur moi-même, une nouvelle manière de combattre mes habitudes. Disons que je vais botter en touche et laisser de l’espace à un extrait de la pièce… Peut-être vos lecteurs pourront ainsi répondre à leur tour à cette question en se basant sur ce passage :
« Fabienne : Vous savez Dr. ma mère ne voulait pas que nous soyons des classes populaires, ni que nous en ayons l’air. Lorsqu’elle devait aller dans les bureaux pour faire des démarches concernant la santé de ses enfants, et, bien qu’elle ait rencontré parfois la gentillesse aussi bien que la froideur bureaucratique, ses rencontres avec l’autorité n’étaient pas de nature à lui donner la sensation de la chaleur humaine, ni le sentiment que nous appartenons les uns aux autres et que nous sommes responsables de chacun pour chacun…
Jean-Christophe : Voilà quelque chose de positif… Ce sens de l’autre, de ceux dont on se soucie sans avoir besoin de les connaître, suffit à créer une communauté, une fraternité.
Fabienne : Mais la grande majorité des membres des classes populaires n’attend rien, pas plus politiquement que socialement ou financièrement. Cette absence d’attentes a été l’histoire de toute ma vie. Ma mère n’a en général pas beaucoup parlé de la Liberté : mais elle a toujours combattu pour elle lorsque cela était nécessaire. Elle avait en l’égalité une croyance fermement ancrée, dans la mesure où cela signifie que chacun de nous vaut au fond, dans son humanité de base, autant que les autres ; ce qui est bien différent d’un nivellement populiste. De même pour la fraternité : elle et les autres l’ont vécue jour après jour durant des siècles.
Jean-Christophe : La fraternité n’est plus considérée, de nos jours, comme une valeur sociale importante… C’est étrange, surtout dans la mesure où le conservatisme d’aujourd’hui dévalue ce principe. Il est dommage que les socialistes de la fin du XX ème siècle aient si peu reconnu et si peu exploité cette sensibilité à la fraternité alors qu’elle a été pendant très longtemps d’une importance cruciale et qu’elle est encore bien vivante. Voilà un enseignement à méditer… Mais je dois vous laisser, j’ai un autre patient… »
Mais il faut bien vivre!
Compagnie Primesautier Théâtre
Durée : 1h45
Mise en scène : Antoine Wellens / 
Approche sociologique : Jean Constance
 / Dispositif scénographique, création sonore : Elise Sorin & Mikael Gaudé
 / Régie générale : Nicolas Buisson
Avec : Fabienne Augié, Amarine Brunet, Virgile Simon, Jean-Christophe Vermot-Gauchy
Spectacle créé en février 2016 à la Scène Nationale de Sète et du Bassin de Thau
 / Production : Primesautier Théâtre
 Coproduction : Scène Nationale de Sète et du Bassin de Thau ; Scènes Croisées de Lozère - Scène conventionnée écritures d’aujourd’hui ; Théâtre Le Périscope - Nîmes 
Avec l’aide de la DRAC Languedoc-Roussillon, de la Région Languedoc-Roussillon, du Conseil Général de l’Hérault et de la ville de Montpellier
- Le mardi 10 mai 2016 au Théâtre Jean Vilar - Montpellier
Les prochaine dates de la cie Primesautier Théâtre:
- Le principe du Truc - les 8 et 9 octobre 2016 au Théâtre jean Vilar - Montpellier
- Est-ce qu’un cri de lapin qui se perd dans la nuit peut-encore effrayer une carotte ? - du 1er au 3 février 2017 au Théâtre Jacques Cœur de Lattes ( 34)
- Mais il faut bien vivre le lundi 5 février au Théâtre Jacques Coeur ( Lattes-34)