Par Christian Kazandjian - Lagrandeparade.com/ L’adaptation de Bel-Ami aiguise la satire incisive d’une société dominée par la soif d’argent et de pouvoir. Une comédie acide d’une revigorante actualité.

Bel-Ami de Guy de Maupassant, publié en feuilleton dans le quotidien Gil Blas, puis édité deux années plus tard, apparut comme un brûlot, de par sa charge contre un système capitaliste, en plein essor. Le réalisme caractérisant l’œuvre (rapports sociaux, détails de la vie quotidienne, études de caractères) s’enrichit d’une critique acerbe des mÅ“urs d’une société où se côtoient, à des fins de succès amoureux et de profits financiers, nobles et riches bourgeois, nageant dans la politique, les affaires et la presse, instruments d’une réussite égoïste et ostentatoire. C’est à Paris, capitale agitée, frivole et affairée, que débarque Georges Duroy. Rapidement, avec un ami de régiment, il gravit les degrés de la notoriété, comme journaliste (ce que fut Maupassant) à La Vie Française, quotidien de la finance et des potins mondains. Ayant compris le rôle des femmes dans l’ascension des jeunes gens aux ambitions sans limites, il séduit, femmes et filles des hommes d’influence, se gagnant, auprès de ces dames le surnom de Bel-Ami. De fragile et dérouté à ses débuts dans la profession, Du Roy de Cantel, nouveau nom qu’il arbore, devient bientôt une plume redoutée, un pilier de la vie mondaine, doublé d’un arriviste sans états d’âme : un personnage tout à la fois attirant et odieux. Il faut dire que Bel-Ami a intégré les codes d’une société où l’apparence, l’étiquette, l’hypocrisie, la flagornerie, la ruse servent de tremplin à la gloire, fût-elle passagère.

Une époque minée par l’argent

L’adaptation de Claudie Russo-Pelosi, qui met également en scène, dégage, en une heure et vingt minutes, avec bonheur, la substantifique moelle d’une Å“uvre de près de 400 pages : les personnages y sont remarquablement servis par les comédiens de la compagnie Les Joues rouges, évoluant en parfaite maîtrise des arts de la scène ; l’esthétique (décor de toile sur laquelle sont projetées des images, accessoires marquant les changements d’ambiance), dans lequel évoluent les personnages, évoque, lors de certaines scènes, les toiles des maîtres de ce temps-là : Manet, Caillebotte, Renoir, voire Lautrec (pour ses prostituées que fréquentaient Maupassant et son personnage, Bel-Ami). Cette adaptation au théâtre, où l’humour affleure à tous moments, se révèle, étant une plongée dans une époque minée par l’argent et les dégâts qu’il produit sur la société et les gens, du haut en bas de l’échelle, d’une troublante actualité : place délétère prise par la recherche du profit, mépris des êtres et de l’humanité. Y émerge, également, le rôle de la femme, de son émancipation d’une forme pressante du patriarcat ambiant, qui pallient, avec leurs amants, les manques affectifs d’époux tout à leur quête de la fortune économique et politique, thème on ne peut plus neuf quand Maupassant édifia son Å“uvre. Le fait de transporter le texte au théâtre lui donne force : on y joue, comme on joue dans la société : tout est apparence et conventions, tout est exacerbé. Un spectacle (certaines scènes tiennent de la chorégraphie), où rien n’est occulté des dévorantes et sensuelles passions, d’une sobre virtuosité, cependant. Emoustillant.

Bel-Ami
De : Maupassant
Adaptation et mise en scène : Claudie Russo-Pelosi
Avec Aurélien Raynal, Sara Belviso ou Coline Girard-Carillo, Aymeric Haumont ou Thomas Lefrançois, Clémence Roche ou Emma Laurent, Adrien Grassard, Hanna Rosenblum ou Julie Bordas, Sophie Condette ou Messaline Paillet
Lumières Dan Imbert
Costumes : Marie-Coralie Sussan et Clare Robinson
Décor : Fabrice Puissant
Ambiance sonore : Claudie Russo-Pelosi
Arrangement musical : Adrien Ribat et Pablo Clevenot
Animation visuelle : Marguerite Teulet
Production : Les Joues Rouges
Partenaires : FNAC, Musée Jacquemart-André

Dates et lieux des représentations:

- Jusqu'au 7 juillet 2025 au Lucernaire, Paris 6e (01.45.44.57.34.) .