Du charbon dans les veines : une pièce où l'on prend le temps de vivre....
- Écrit par : Xavier Paquet
Par Xavier Paquet - Lagrandeparade.com/ « Mon père était "gueule noire" comme l'étaient ses parents, ma mère avait les cheveux blancs.
Ils étaient de la fosse, comme on est d'un pays. Grâce à eux je sais qui je suis » chantait Pierre Bachelet dans ses Corons. De la fierté d’une terre, de la fierté d’un état d’esprit local et de fierté familiale et amicale, il en est question dans la dernière création de Jean-Philippe Daguerre.
Fin des années 1950, dans un petit village du Nord de la France, la vie quotidienne s’étire au gré du travail à la mine, des amitiés et discussions de comptoir dans le bar de Sosthène et sa femme, au rythme du temps qui s’écoule comme un air d’accordéon de la fanfare locale. Une vie où le gris du ciel répond à la noirceur du charbon jusqu’à ce que des évènements bousculent cette routine bien installée : l’arrivée de la télévision dans le foyer et la venue de Leila, jeune marocaine qui veut rejoindre l’orchestre d’accordéonistes du village. Une petite lucarne qui s’ouvre et fixe les regards autant qu’elle anime les conversations ; une jeune femme qui trouble l’amitié de Pierre et Vlad, deux meilleurs amis. Un temps où l’on se parlait, où l’on évoquait les sujets joyeux comme fâcheux avec le même détachement sur les choses de la vie, le temps de la pudeur des sentiments.
Derrière la coupe du monde de foot diffusée pour la première fois à la télévision, c’est une question d’honneur et de fierté nationale qui se joue : l’origine ouvrière, l’ancrage du nord, l’immigration. Autant de sujets passionnés qui marquent aussi une époque : les conditions de vie et de travail, la pauvreté qui s’installe, la maladie qui guette, le racisme qui s’immisce.
Véritable chronique sociale, « Du charbon dans les veines » incarne la justesse d’une époque et d’une région sans pathos ni artifices avec une narration sans clichés ni effets. Tout y est simple mais vrai, une authenticité et une naturalité se dégagent de l’histoire et du plateau. Mais aussi beaucoup de finesse et de tendresse avec une écriture riche, pleine d’humour et de subtilité et quelques phrases bien senties qui donnent le sel populaire de l’intrigue.
Les personnages vivent avec leur caractère, leurs défauts, ils sont représentés tels qu’ils sont : des personnages hauts en couleur et en personnalité en contraste avec la grisaille de la mine, des situations sincères et des touches d’émotion savamment distillées rythment le jeu. Un jeu tout en spontanéité, en naturel, en justesse : leur humanité et leur fragilité les rend attachants.
La mise en scène est dans la lignée de ce que nous propose Daguerre dans ses pièces et le charme opère : une structure à cour illustrant l’intérieur d’une maison typique, la chaleur du foyer et la rusticité rurale, un espace modulable à jardin au gré des situations et du jeu en dehors de la maison. Les éclairages subtils font le reste et la douceur de l’accordéon joué en live rythme les liens d’amitié, d’amour et d’affection qui se font et se défont.
A contrario des mises en scène contemporaines axées sur le rythme, la pièce joue le jeu du temps long : on prend le temps d’installer les choses, on prend le temps de vivre, de s’écouter, de faire vivre les silences. Un vrai rythme quotidien qui donne à respirer le texte.
Touchante, « Du charbon dans les veines » parle de lutte, de solidarité, de fraternité, de tolérance : autant de valeurs essentielles et mises à mal dans notre société actuelle et que la pièce convoque comme un devoir de mémoire. Cette recherche du bonheur, ces petits riens qui font la vie, cette simplicité font de cette histoire un récit social riche en humanité : le charbon coule dans les veines de ceux qui voient le soleil derrière le gris du ciel.
Du charbon dans les veines
Auteur et metteur en scène : Jean-Philippe Daguerre
Avec : Jean-Jacques Vanier, Aladin Reibel, Raphaëlle Cambray, Théo Dusoulié, Julien Ratel, Juliette Béhar, Jean-Philippe Daguerre.
Décors : Antoine Milian
Costumes : Virginie H
Musiques : Hervé Haine
Assistant mise en scène : Hervé Haine
Lumières : Moïse Hill
Co-productions : Ki m’aime me suive, Grenier de Babouchka et Place 26
Soutiens : CourbevoiEvent pour l’Espace Carpeaux, Petit Théâtre de Rueil-Malmaison, Centre culturel Jean Vilar – Marly-le-Roi.
Dates et lieux des représentations :
- Jusqu'au 26 avril 2025 au Théâtre Saint Georges ( 51 rue Saint Georges, 75009 Paris)