Théâtre : la lettre d’une inconnue dévorée par l’amour
- Écrit par : Christian Kazandjian
Par Christian Kazandjian - Lagrandeparade.com/ Le texte de Stefan Zweig explore les tréfonds de l’âme d’une femme déchirée par une passion non partagée.
Une femme veille son enfant mort de la grippe. Se refusant à lui survivre, espérant être elle-même emportée par la maladie, elle écrit une lettre à son amant, y confiant toute sa vie passée dans l’anonymat, depuis l’adolescence. Elle évoque cet amour fou qui l'a consumée pour un élégant dandy, écrivain mondain qui toujours l’a ignorée, et jamais reconnue lors de leurs rencontres, amant et à qui, elle a refusé de dévoiler son identité. Elle décrit, avec force détails, jusqu’aux plus intimes et choquants, leurs moments d’intimité passagère, sans rien éluder, sauf son identité. On revit, avec elle, les étapes de doute, d’extase, de dépression ; et d’élans amoureux qui, au final, effacent toute peine et désillusion. Elle ne cache rien de leurs brèves aventures d’une nuit, où lui, la considère comme une simple cocotte, voire une prostituée, lui faisant l’affront d’un paiement en espèces. Elle ravale alors son humiliation pour ne garder que le souvenir des étreintes de cette figure d’un dieu d’amour qu’elle s’est forgée. Lui ne saura jamais rien de cette inconnue, sans nom, que sa frivole mémoire efface l’acte charnel consommé. La mort de son enfant, l’immense douleur d’affronter une solitude qu’un amour fantasmé aidait à supporter, la pousse, avant d’envisager la mort, de se confier à l’homme dont la seule pensée aura empli sa pauvre existence. Ce sera donc une lettre anonyme où elle dévoilera comment elle dédia toute sa vie à sa passion unilatérale et dévorante.
Autopsie d’une confession
Avec Lettre d’une inconnue, Stefan Zweig se livre à une véritable autopsie des relations d’amour, des affres de la solitude. L’anonymat de l’auteure de la lettre, qui sonne comme une confession brute d’un amour non partagé, d’une indicible souffrance qui, confrontée à l’irréparable –la mort d’un être cher, ici un enfant- exige d’être révélée. Cette nouvelle, datant de 1922, de par la violence, le déchirement contenus, l’amour-passion aveuglant, agit comme miroir de l’âme, une plongée dans les relations humaines ; ce qui lui a valu de nombreuses adaptations cinématographiques et théâtrales. Cette mise en scène due à William Mesguich fera date, par sa délicate intelligence et par l’interprétation d’une magnifique comédienne, Betty Pelissou, seule en scène ; elle confère au personnage de l’inconnue toute son épaisseur humaine, dans ses fragilités, ses colères et sa brûlante et destructrice passion. Elle offre, dans un simple mouvement, la vision de l’adolescente mutine, pour emprunter, l’instant d’après, le port de la femme établie, de la coquette, avec une belle finesse et une saisissante pénétration. Les pages de la lettre éparpillées sur le sol du modeste logement comme les jalons du parcours de toute une vie, les éclairages et le voile de fumée enveloppant le plateau au début, tout évoque la tentative de tisser un lien avec le passé, tentative vaine en forme d’appel, avant effacement. Un spectacle d’une fascinante et cruelle beauté qui ne laisse pas de bouleverser.
Lettre d’une inconnue
De : Stefan Zweig
Mise en scène : William Mesguich
Avec Betty Pelissou
Crédit- photo : PITT
Dates et lieux des représentations:
- Jusqu’au 1er mars 2025 à la Folie théâtre, Paris 11e (01.43.55.14.80.) les vendredis et samedis à 19h30,