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Les petites bêtes : la famille et l’ombre pernicieuse de la tyrannie maquillée d’amour

  • Écrit par : Xavier Paquet

petites bêtesPar Xavier Paquet - Lagrandeparade.com/ C’est la petite bête qui monte, qui monte, qui monte.

Un simple jeu complice et enfantin dont chacun se souvient avec sourire. Mais parfois la petite bête peut sembler grosse et devenir un souvenir encombrant et traumatisant. C’est le point de départ de la pièce où la grand-mère reçoit fréquemment sa fille, médecin qui vient la soigner, et sa petite-fille à qui elle dit de chérir chaque moment, se sentant plus proche de la mort. Le rituel se répète inlassablement : prendre les valises (symbolique du fardeau), aller rendre visite à la doyenne, se plier en quatre pour s’occuper d’elle, s’affairer pour lui faire plaisir et ne pas la contredire. Rester aux yeux de la mère l’enfant obéissant et effacer sa personnalité et toute trace d’adulte responsable pour ne pas la contrarier ni la décevoir.
La petite fille s’exécute mais se questionne : derrière l’insouciance de l’enfance se cache le questionnement de la jeune adolescente et, petit à petit, la compréhension que son corps change, que le comportement de sa mère n’est pas approprié, qu’elle doit tout faire pour ne pas grandir et ne pas devenir comme elle, soumise à l’autorité maternelle. Démunie, elle cherchera par ses moyens d’enfant à se défaire des névroses transgénérationnelles et échapper aux fausses croyances que s’inflige sa propre mère.
Pour narrer ces femmes qui se consument, qui sont dévorées de l’intérieur par leurs angoisses et des relations familiales où l’amour se révèle complexe, la plume est incisive, fine et ciselée avec un sens poétique de la formule et du dialogue. L’écriture est élégante, le phrasé tantôt quotidien tantôt plus anachronique, ce qui donne du corps et de l’originalité au texte. Et il en faut pour parler de la transmission de nos blessures familiales et de la dépendance affective.
La scénographie se veut minimaliste avec un lit, une table et un rideau doré en toile de fond. Mais il apparaît au fur et à mesure beaucoup plus complexe, dévoilant une forêt sombre s’éclaircissant comme écho à la libération du poids de la soumission. Elle arbore les codes du conte par cette symbolique, et fait un clin d’œil au petit Chaperon rouge par la présence du loup (une marionnette très réussie) et de ce trio familial. Elle en joue avec la présence d’une narration enregistrée, une voix off douce et bienveillante signée Mathieu Amalric. Un contraste avec la tyrannie des sentiments et la force de l’emprise. Le tout est sublimé par des jeux de lumière maintenant la noirceur des angoisses, le bleu d’une nuit intérieure sans fin, l’éclaircie qui pointe.
Une pièce belle et profonde ne serait rien sans le talent de ces trois comédiennes qui apportent une singularité et une couleur à leurs personnages : une grand-mère à l’allure sympathique mais qui diffuse une figure d’autorité et d’aura toxique, une fille à la voix d’enfant dont la culpabilité et la culpabilisation transpirent, une petite fille qui s’empêche de grandir par pudeur enfantine. Il se dégage du plateau une sensibilité, une puissance intérieure et une générosité qui animent ces tranches de vie et l’ombre pernicieuse de la tyrannie maquillée d’amour.
« Les petites bêtes » se pare d’un thème universel en ne nommant pas les personnages mais les désignant par leur attribut familial permettant à chacun de s’identifier. Car nous avons tous en nous ces petites phrases, ces remarques, ces silences ou ces non-dits, ces angoisses qui nous effraient et ressurgissent. A l’image de la mère, il est temps de déposer les valises et se libérer de la reproduction des schémas destructeurs à laquelle nous nous sommes conditionnés. Et ne voir dans ces petites bêtes que des petites chatouilles mais qui cessent de grimper.

Les petites bêtes

Texte et mise en scène : Delphine Théodore

Avec Louise Legendre, Amandine Dewasmes, Claire Aveline
Voix enregistrées : Mathieu Amalric et Yannick Choirat

Marionnettiste et régie plateau : Géraldine Zanlonghi
Marionnettiste : Delphine Théodore
Dramaturgie : Valérie Théodore
Collaboration artistique : Sandra Choquet
Scénographie : James Brandily
Création lumières : Pascal Noël
Création son : Lucas Lelièvre
Costumes : Siegrid Petit-Imbert
Création marionnettes : Sébastien Puech
Chorégraphie : Rémi Boissy
Régie : Philippe Lagrue et David Ferré
Régie son : Fabrice Naud
Production, administration : Agathe Perrault et Jeanne Lalande – LA KABANE
Relations presse : Francesca Magni

Crédit-photo : Blokaus808

 

 


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