Par Christian Kazandjian - Lagrandeparade.com/ Londres 1661. Le narrateur annonce la réouverture des théâtres fermés, sous la férule d’une révolution puritaine, alimentée par le clergé, 18 années plus tôt. On va pouvoir, de nouveau, assister aux représentations des pièces de William Shakespeare, notamment les tragédies : Macbeth, Le Roi Lear, Hamlet Othello. Desdémone, épouse du Maure Othello, tient, dans Belles de scène, de Jeffrey Hatcher, une place centrale.

Le rôle, quand les théâtres reprennent leur activité, est tenu par Kynaston, un homme : à l’époque où sévissait une féroce censure puritaine, les femmes n’avaient pas le droit de jouer. Aussi, quand Margareth Hughes enfreint la loi en interprétant, avec succès, Desdémone, c’est tout Londres qui s’agite, des parterres et coulisses des théâtres à la cour de Charles II. Intrigues et règlements de compte se déchaînent, attisés par la suffisance des uns (Kynaston), les intérêts pécuniaires des autres (Betterton directeur de théâtre), les rêves de gloire de starlettes (Nell Gwynn maîtresse du roi), la lâcheté et compromissions des grands du royaume (le duc de Buckingham amant de Kynaston). Finalement, le faible et falot monarque aux mÅ“urs dissolus, cédant aux audaces de sa maîtresse, ex-fille publique, décrète que, désormais, les femmes auront accès aux planches et les hommes ne pourront plus jouer de rôles féminins : étrange renversement qui fera, à nouveau, s’étrangler les rances représentants du culte.

Irrésistible humour

Belles de scène, nous replongeant dans l’Angleterre du XVIIe siècle entonne un hymne à Shakespeare, et, au-delà, au théâtre et à la liberté de création. Tirées de faits et de personnages historiques, les retombées de la pièce n’en sont que plus actuelles : place et responsabilités des femmes dans la société, pouvoirs de la politique et de l’argent, petitesse et grandeur des êtres humains, sexualité et tolérance. Les libelles, pamphlets et épigrammes d’alors ne sont-ils pas les réseaux sociaux d’aujourd’hui, avec leurs aspects positifs de progrès et leurs dangers ? De ce reflet naît un cocktail irrésistible d’humour, de grâce et d’illusions, propre à cet art, qui englobe tous les arts, qu’est le théâtre. Dans Belles de scène aucun des ingrédients qui fondent l’art scénique ne manque : quiproquos, travestissement, ombres chinoises, chant. Le texte ne fait pas économie d’un langage châtié souvent, vert et un peu plus, en d’autres occasions, et de situations que l’on jugerait scabreuses hors des murs du théâtre. Les six comédiens excellent dans les nombreux rôles qu’ils interprètent tenant de la commedia dell’arte ou de la plus pure modernité. Kynaston est arrogant et fragile à souhait, quand Charles II, ancêtre d’un présent Charles, campe le parfait idiot, balourd et libidineux ; les personnages féminins font assaut de minauderies, mais, également et surtout de volonté d’imposer leur juste place dans la société. Quant au décor, il jalonne, dans sa majesté surannée, le déroulement de l’action. Le petit praticable, sur le devant, marque le passage obligé des protagonistes, en perpétuelle représentation, jouant le rôle que leur rang est censé exiger d’eux. Belles de scènes compose un hymne au théâtre, convoquant le spectateur au partage d’un temps suspendu où l’humour et les passions ouvrent les portes de la raison et de la réflexion. Une totale réussite.

Belles de scène
Auteur: Jeffrey Hatcher
Mise en scène :  Stéphane Cottin 
Adaptation : Agnès Boury, Vincent Heden et Stéphane Cottin 
Avec : Patrick Chayriguès, Stéphane Cottin, Emma Gamet, Vincent Heden, Sophie Tellier, Patrick Zard’
Musique : Cyril Giroux
Costumes : Chouchane Abello Tcherpachian
Lumière : Moïse Hill
Assistante à la mise en scène : Victoire Berger Perrin
Crédit-photos : Cyrille Valroff

Dates et lieux des représentations : 

- Jusqu'au 16 mars 2025 au Théâtre des Gémeaux parisiens, Paris 20e (01.87.44.61.11)