Les fourberies de Scapin : une fourberie à laquelle on tire son chapeau!
- Écrit par : Xavier Paquet
Par Xavier Paquet - Lagrandeparade.com/ Pour réussir à surprendre dans ce grand classique du patrimoine théâtral, Denis Podalydes a décidé de ne pas casser les codes mais d’en revenir à l’essence même. Molière avait voulu ne plus être dans le schéma de comédie avec ballets mais dans une inspiration plus italienne et laissant davantage de liberté dans la mise en scène en s’affranchissant de contraintes de style.
D’Italie aussi il est question dans la scénographie. Palissades et échafaudage de chantier, filets de pêche et baraquement de bois, vue au loin d’un trois-mâts en pleine mer. Nous sommes dans le port de Naples où deux jeunes hommes de bonne famille appréhendent le retour de leurs pères et leur réaction quant aux amours qu’ils veulent vivre. Octave a épousé Hyacinthe, pauvre et mystérieuse, en cachette et sans l’approbation de son Argante de père, Léandre lui a des vues sur Zebinette, une jeune égyptienne qui n’est là que de passage quand son père Geronte lui veut Hyacinthe pour épouse. Tous deux se remettent dans les mains du rusé Scapin, valet de Léandre, afin de les sauver de la foudre paternelle.
Vêtu comme un marginal, couvert de terre, crotté comme les hommes errants, Scapin n’a rien de la condition de son maître mais il a pour lui un sens aiguisé des stratagèmes, une folle envie de revanche et un fort amusement à créer des situations rocambolesques dont il s’amuse. Il a cette fougue de corps, cette vivacité d’esprit et cette prise de risque qui le font exceller dans le détournement des situations compliquées, toujours à son profit, et avec l’envie d’en retirer le plus d’argent possible. Confrontation des mondes oblige, Scapin bouscule l’ordre établi dans un univers fait de violence : violence des mots, violences des maux, violence physique et violence de la corruption. Tout est réuni pour que la cruauté réponde à l’humiliation.
Le vice est poussé jusqu’à la scénographie où l’installation très verticale matérialise aussi la différence de classes : les nobles descendent par l’escalier du chantier pour rejoindre la terre où siège le marginal Scapin. Ils se mettent à son niveau et pourtant c’est lui qui s’élève dans les airs par l’intelligence, la ruse et la finesse de son esprit. Il avance par petits pas, délivrant progressivement la complexité de sa personnalité et rendant grâce à la subtilité dont il fait preuve.
Et que dire de la fameuse scène du bâton où un système de traction et de poulie fait se lever le sac pour apporter de la fraîcheur sur ce mythique moment, installant encore plus l’instant dans le chantier de la mise en scène.
La direction d’acteurs met l’accent sur la puissance des pères, sur la sensibilité et l’intériorité des jeunes amoureux, sur le côté espiègle de leurs dulcinées mais elle donne une part belle à la lumière et à l’ombre de Scapin. Le ressort comique vient de lui et de son jeu en première lecture et en sous texte, s’amusant avec le public et jouant à le chercher (que d’applaudissements mérités pour Noam Morgensztern), se déplaçant avec vélocité et fluidité, changeant de ton et de ruptures avec agilité et apportant une finesse à la joute verbale que son habile esprit concocte.
Le style se réinvente, la puissance comique reste là sans tomber dans la farce, l’intelligence de texte se relève, l’intériorité des acteurs se montre. Une fourberie à laquelle on tire son chapeau.
Les fourberies de Scapin
Mise en scène : Denis Podalydès
Scénographie : Éric Ruf
Costumes : Christian Lacroix
Lumières : Stéphanie Daniel
Son : Bernard Valléry
Maquillages : Véronique Soulier-Nguyen
Collaboration artistique et chorégraphique : Leslie Menu
Assistanat à la mise en scène : Alison Hornus
Assistanat à la scénographie : Dominique Schmitt
Dates et lieux des représentations:
- Du 3 février au 19 juin 2024 à la Comédie Française - Paris