La grande marée : à la dérive de nos imaginaires....
- Écrit par : Xavier Paquet
Par Xavier Paquet - Lagrandeparade.com/ Que reste-t-il quand tous les rêves et les imaginaires ont été engloutis, quand une part d’irréel s’enfonce dans les abîmes et que s’échappe un idéal ? C’est par le prisme du mythe de l’Atlantide que la pièce questionne nos idéaux individuels comme collectifs et interroge notre fascination pour la finitude de notre propre destin.
Plus qu’une aventure, c’est une exploration qui commence dans les archives du journal Le Monde et d’un article de 1989 qui traite d’une expédition d’anthropologues, de philosophes allemands afin de découvrir le lieu où la mythique Atlantide a été engloutie par les eaux. Pour eux, il faut comprendre dans le passé d’où vient notre catastrophisme ambiant et vaincre cette fatalité.
L’histoire se décompose en deux temps : une première partie plus narrative, qui aborde sous forme d’enquête journalistique le point de départ de l’écriture de la pièce, des échanges avec la journaliste Brigitte Salino, la journaliste qui, par son article, a déclenché cette curiosité. Elle recrée un échange entre celle-ci et Dietmar Kamper, intellectuel allemand à l’origine de ce projet de voyage. Elle remet en lumière également la vision de ces philosophes et chercheurs à l’aune de la chute du mur de Berlin, qui fera avorter cette expédition.
Elle part ensuite d’un récit plus intérieur, d’une quête plus profonde et personnelle qui s’immerge dans l’inconscient et l’intimité de l’humanité. La propre expédition de l’auteur et de ses complices, qui, à partir du point de départ scientifique, en font leur propre aventure mêlant avec finesse psychologie, philosophie et océanographie. C’est ainsi que, tels les vagues d’une marée, les rêves et les souvenirs se succèdent, que la réalité archivée s’entremêle avec l’imaginaire et la fiction ; et à l’image des boucles que font les vagues, les histoires s’entrecroisent dans le même ballet lancinant.
Le texte, d’une grande intelligence, aborde cette illusion avec tendresse et poésie, une grande qualité d’écriture et une plume qui, avec finesse, narre ces contes modernes. La forme narrative, constamment présente tant sur la construction de la pièce que le point de vue philosophique des chercheurs allemands, amène le récit dans le récit et apporte deux niveaux de lecture permanents.
Malgré la lenteur du propos, les idées qui se cherchent et se confrontent telles l’eau qui reflue de la grève, la pièce garde un certain rythme grâce à une scénographie imposante qui nous happe dans son monde. Le plateau se recouvre de grandes toiles qui se tendent et se détendent, manœuvrées à vue par l’équipe et un jeu de poulies dont le son fait résonner le bruit des vagues. Tantôt dans l’océan, tantôt dans le fond d’une grotte, tantôt dans un rêve, elles nous transportent avec grâce.
L’ensemble des changements se font à vue et les jeux de lumière apportent de la profondeur et un vrai univers onirique dans les phases exploratoires où les lampes frontales jouent un jeu d’immersion profonde dans les entrailles du public. Les comédiens apportent tous leur personnalité sur le plateau avec différents niveaux de sensibilité et beaucoup de ruptures nettes et précises pour casser le quatrième mur, et des nuances pour faire des apartés personnels faisant vivre les questionnements de leurs personnages.
« Essaye de te souvenir ou à défaut invente » est la maxime de la pièce et la question de la dérive de nos imaginaires reste une éternelle énigme.
La grande marée
Conception : Simon Gauchet
Texte : Martin Mongin
Avec Gaël Baron, Yann Boudaud, Rémi Fortin, Cléa Laizé
Collaboration artistique : Éric Didry
Assistante à la mise en scène : Nathanaëlle Le Pors
Conseiller scientifique : Constantin Rauer
Scénographie : Olivier Brichet et Simon Gauchet
Musique : Joaquim Pavy
Costumes : Léa Gadbois Lamer
Son : Manuel Coursin
Dates et lieux des représentations:
- Du 9 au 24 novembre 2023 au Théâtre de la Bastille ( 76 rue de la Roquette, 75011 Paris) Métro Bastille - 01 43 57 42 14