Julia Perazzini : « La mort ? J’essaie d’en faire une amie ou une partenaire de vie »
- Écrit par : Romain Rougé
Par Romain Rougé - Lagrandeparade.com/ Comédienne, performeuse, ventriloque et transformiste, Julia Perazzini imagine un dialogue avec un frère qu’elle n’a jamais connu, décédé à l’âge huit mois. Dans Le Souper, elle propose aussi une réflexion philosophique et humoristique sur l’absence et la mort.
Julia Perazzini, peut-on dire que cette pièce est en quelque sorte une désacralisation de la mort, avec laquelle on peut « souper », voire rigoler ?
C’est toujours assez compliqué de se dire qu’on va mourir, donc je dirais qu’il s’agit plutôt d’une tentative d’apprivoisement. Au lieu de la refuser, de ne pas vouloir la voir, c’est une manière de la faire apparaître, la mort. Je lui accorde une place à mes côtés et essaie de créer un dialogue avec elle, un souper étant le un moment idéal pour ça.
Quel rapport entretenez-vous avec la mort ?
D’une certaine manière, la mort a toujours été un peu là sans que je m’en rende compte. Ma famille était endeuillée à la suite de la mort de mon frère qui a toujours été là sans être là... J’ai donc un peu grandi avec la mort et je ne suis pas mal à l’aise avec des défunts. J’ai néanmoins besoin de développer une relation qui n’est pas que dans la souffrance ou la douleur. La mort, j’essaie d’en faire une amie ou une partenaire de vie, quelque chose qui m’aide à me concentrer sur l’essentiel, qui est aussi constitutif de mon développement.
Selon vous, pour trouver un sens à la vie, à son mystère, il faut nécessairement prendre en compte le monde et les entités invisibles ?
Je ne prétends pas détenir de vérité. Tout le monde n’a pas envie de chercher un sens à la vie ou à la mort. Personnellement, je cherche un sens à ce que je fais et en même temps, j’essaie aussi de ne pas vouloir en trouver un. C’est ma ligne de crête. Faut-il nécessairement prendre en compte le monde des entités invisibles ? Pour moi oui, car ça me rassure de voir autre chose que ce que mes yeux peuvent percevoir. J’ai l’impression que ça me fait grandir, j’y trouve de la beauté, de l’amusement, de l’apaisement et de l’humour !
Et dans Le Souper, tout ça se matérialise…
Oui, sous la forme de mon frère, un personnage que j’ai créé et qui représente à la fois la mort, l’absence, l’invisible, la douleur, tout ce qu’on ne maitrise pas. On dialogue devant le public, à défaut d’avoir pu jouer ensemble dans la vraie vie.
De la mélancolie à la poésie : qu’est-ce qui a finalement été le moteur artistique de ce Souper ?
L’envie de faire cette pièce, c’est simplement pour dépasser ce qui parait impossible, c’est un peu cathartique. À partir du vide, je voulais créer un dialogue, un lien avec ce qui nous dépasse. C’est à la fois fantomatique et agissant, à l’image de la relation que j’aie avec ce frère qui n’est présent que par son absence. J’en ai fait un personnage malicieux qui fait rire les gens : ça me rend heureuse parce que je me dis que d’une certaine manière, il devient réel pour tout le monde. Ce qui est à la base extrêmement dramatique devient alors plus vivant et moins dur.
Comment ont réagi vos parents à la découverte de la pièce ?
Ils étaient à la fois surpris et touchés, avec des sentiments mêlés. Ma mère est venue plusieurs fois pour s’habituer, m’a-t-elle dit. Au départ, entendre mon frère lui faisait de la peine car elle avait dû mettre cette mort de côté pour continuer à avancer. Elle avait gardé une dernière image de lui très dure. Désormais, quand elle pense à Frédéric, elle le voit sourire.
Le Souper
Ecriture, conception, jeu : Julia Perazzini
Musique live : Samuel Pajand
Lumière : Philippe Gladieux
Collaboration artistique et dramaturgie : Louis Bonard
Assistant scénographie : Vincent Deblue
Regard extérieur : Yves-Noël Genod
Régie son : Marvin Jean
Costume : Karine Dubois
Administration et diffusion : Tutu
Production – Véronique Maréchal
Production : Cie DEVON
Coproduction : Arsenic à Lausanne, Théâtre Saint-Gervais à Genève
Soutiens : Ville de Lausanne, Canton de Vaud, Loterie romande, Pro Helvetia, Fondation Jan Michalski, Fondation Nestlé pour l’Art, Ernst Göhner Stiftung, Pour-cent culturel Migros, Fondation suisse des artistes interprètes SIS, Migros Vaud, Corodis
© Dorothée Thébert Filliger
Dates et lieux des représentations:
- Les 16 et 17 juin 2023 au Printemps des Comédiens - Hangar Théâtre - Montpellier
- Du 27 février au 6 mars 2024 : Théâtre Public de Montreuil - Centre Dramatique National