Extinction : le triptyque dantesque de Julien Gosselin
- Écrit par : Manuela Disegni
Par Manuela Disegni - Lagrandeparade.com/ Les connaisseurs l’attendaient, moment phare du 37e Printemps des Comédiens 2023 au Domaine d’Ô : la nouvelle création de ce jeune metteur en scène français de 36 ans, Julien Gosselin, « Extinction ».
La couleur est annoncée, la longueur plutôt : 5 heures dont 2 entractes. Spectacle déconseillé aux moins de 15 ans. Le lieu, idéal : Théâtre Jean-Claude Carrière, qui fleure bon le bois blond.
Gosselin est associé depuis deux ans à la Volksbühne am Rosa-Luxembourg-Platz, un des plus grands théâtres allemands. Ce théâtre est qualifié de scène la plus palpitante d’Allemagne. Quoi de mieux que cette association. C’est donc une co-production de « Si vous pouviez lécher mon cœur » (compagnie créée par Gosselin) et Volksbühne… et nous voilà emportés dans un spectacle éblouissant, grinçant, dérangeant, déroutant, audacieux, qui combine théâtre, textes, images, sons ; une création multimédia orchestrée de mains de maître. On peut adorer ou détester mais on ne peut que saluer la performance.
1er round : "Rome 1983". Avant d’entrer dans la salle, des boules quies sont proposés. Petite précaution utile car la salle de théâtre s’est métamorphosée en discothèque avec DJ’s, tables de mixage, fumées, stroboscopes et open bar. Les plus dynamiques se réunissent devant les platines et sautent aux rythmes assourdissants d’une techno plutôt lugubre qui annonce déjà la tonalité. Au-dessus de la scène, un écran projette les images filmées en direct par deux caméramen. Après 30 minutes de techno fever où nos tympans en ont pris un coup, entrent en scène une femme, puis une autre ; elles fendent la foule des danseurs. Elles sont équipées d’un micro serre-tête comme le seront tous les acteurs. Elles échangent en langue allemande. Les spectateurs les suivent toujours sur l’écran au-dessus et sont aidés par des surtitrages. Rosa et Victoria parlent d’amour, mais surtout de Wolfsegg, de coup de fil urgent…On entre dans ce qui fera la 3e partie du spectacle (l’ «Extinction » de Thomas Bernhard).
2e round : "Vienne 1913". En revenant dans la salle, la scène est occupée par un décor ressemblant à celui d’un studio de cinéma : on y voit un appartement bourgeois, une chambre à coucher, un salon, une salle d’eau avec WC. Rosa s’assoit alors dans la salle parmi les spectateurs et va assister à une pièce de théâtre où jouera Victoria. Cette pièce est inspirée librement des textes de deux grands romanciers autrichiens, Arthur Schnitlzler et Hugo Von Hoffmannstahal. Théâtre réaliste sans indulgence, présenté ici en 3 tableaux.
Les deux cameramen filment et la projection sur l’écran se fait en noir et blanc. Les images sont accompagnées par un soundtrack original. Nous entrons alors comme des voyeurs dans l’intimité des corps et nous découvrons les dessous de la société Viennoise bourgeoise du XXe siècle. Les caméras osent, les caméras montrent. Elles dénoncent les travers de cette époque, époque de grandeur culturelle mais de décadence surtout. Le jeu des comédiens est éblouissant. Le spectateur se laisse étourdir par les dialogues débridés, les rires, les pleurs, les râles, …Les opérateurs filment tout, jusqu’aux scènes de sexe, d’urine, de nausées ou de vomissements. Gosselin est jusqu’au-boutiste : cette 2e partie, qui plus est, s’ouvre et se ferme sur deux scènes macabres ; l’une sortirait tout droit de l’univers d’« Eraserhead » de David Lynch, l’autre aurait les pulsions d’un Tarantino ou du « Petits meurtres entre amis » de Boyle. On ne sait pas s’il faut rire ou détourner la tête. Tout est permis quand la fin du monde est proche.
3e round : "Retour à Rome en 1983". La salle a un tout autre décor, simple et dépouillé : une estrade et, devant celle-ci, 50 chaises pour accueillir des spectateurs. Rosa, après avoir rejoint Victoria dans les coulisses et critiqué la pièce, revient seule sur scène et tient une conférence. Le texte est directement inspiré d’Extinction de Thomas Bernhard. Rosa va nous dire dans un monologue en allemand de plus d’une heure tout ce qu’elle veut « éteindre » définitivement de son passé, du passé en général : les traditions, le nazisme, les hypocrisies, les violences, les religions…Elle règle ses comptes avec l’Autriche et va tout brûler. On salue la virtuosité de cette comédienne, Marie Rosa Tietjen, qui va réussir à tenir les spectateurs en haleine (et réveillés) malgré l’heure tardive.
Extinction des feux à plus de minuit, après 5 h de cette impressionnante fresque.
Aucun doute, Gosselin est un prodige. Il reviendra au Festival d’Avignon cet été. Frileux s’abstenir tout de même.
Extinction - Si vous pouviez lécher mon cœur / Volksbühne am Rosa-Luxemburg-Platz
Avec : Guillaume Bachelé, Joseph Drouet, Denis Eyriey, Carine Goron, Zarah Kofler, Rosa Lembeck, Victoria Quesnel, Marie Rosa Tietjen, Maxence Vandevelde et Max Von Mechow
Texte : Thomas Bernhard, Arthur Schnitzler et Hugo von Hofmannsthal
Traduction : Francesca Spinazzi / Panthea (en cours)
Adaptation et mise en scène : Julien Gosselin
Scénographie : Lisetta Buccellato
Dramaturgie : Eddy d’Aranjo et Johanna Höhmann
Assistanat a la mise en scène : Sarah Cohen et Max Pross
Musiques : Guillaume Bachelé et Maxence Vandevelde
Lumières : Nicolas Joubert
Vidéos : Jérémie Bernaert et Pierre Martin Oriol
Son : Julien Feryn
Costumes : Caroline Tavernier
Cadre vidéo : Jérémie Bernaert, Baudouin Rencurel
Avec la participation de tous les départements de Si vous pouviez lécher mon cœur et de Volksbühne am Rosa-Luxemburg-Platz
Régie générale et plateau : Simon Haratyk et Guillaume Lepert
Accessoires : Lisetta Buccellato, David Ferré, Antoine Hespel, Yvonne Schulz et Carlotta Schuhmann
Animations 3D : Caroline Mansouri
Etalonnage : Laurent Ripoll
Régie lumière : Zélie Champeau et Manon Meyer
Régie son : Manon Poirier
Régie vidéo : David Dubost et Philippe Suss
Surtitres video : Anne Pernas
Script video : Elsa Revcolevschi
Stagiaires : Marine Banal, Alix Capossela et Julien Vella
Administration, production, diffusion : Eugénie Tesson
Organisation tournée, actions culturelles : Marion Le Strat
Administration : Olivier Poujol
Direction technique : Nicolas Ahssaine
Construction du décor : Volksbühne et Ateliers Devineau
Production:
Une co-production de Si vous pouviez lécher mon cœur / Volksbühne am Rosa-Luxemburg-Platz
Coproduction : Wiener Festwochen, Le Phénix Scène Nationale Valenciennes pôle européen de création, Printemps des Comédiens Montpellier, Festival d’Automne à Paris, Festival d’Avignon, Théâtre Nanterre-Amandiers, Théâtre de la Ville Paris, Maison de la culture d’Amiens, De Singel Anvers.
Avec l’aide du Ministère de la Culture
Avec la participation artistique du Jeune Théâtre National
Avec le soutien du Channel de Calais, d’Odéon Théâtre de l’Europe et de l’Ecole du TNS
Julien Gosselin et Si vous pouviez lécher mon coeur sont artistes associés au pôle européen de création, le phénix scène nationale Valenciennes et au Théâtre Nanterre Amandiers. Julien Gosselin est quant à lui artiste associé à la Volksbühne de Berlin.
Si vous pouviez lécher mon coeur est soutenu par le Ministère de la Culture et de la Communication - DRAC Hauts-de-France, la Région Hauts-de-France.
Thomas Bernhard est représenté par L’ARCHE – agence théâtrale. www.arche-editeur.com
Durée : 300 minutes
Spectacle déconseillé aux moins de 15 ans
Spectacle en français et en allemand surtitré en français
Dates et lieux des représentations:
- Du 2 au 4 juin 2023 au Domaine d'O - Théâtre Jean-Claude Carrière - Montpellier - dans le cadre du Festival du Printemps des Comédiens
- Les 12 et 13 juin 2023 : Wiener Festwochen, Vienne
- Du 7 au 12 juillet 2023 : Festival d’Avignon
- Les 7, 9, 10, 14 septembre et les 7, 8, 20, 21 octobre 2023 : Volksbuehne Berlin
- Les 10 et 11 novembre 2023 : DE SINGEL, Anvers
- 18 novembre 2023 : Festival Next, Phénix de Valenciennes
- Du 29 novembre au 6 décembre 2023 : Paris
- Les 5 et 6 janvier 2024 : Volksbuehne Berlin
- Les 23 et 24 mars 2024 : Théâtre de la Ville de Luxembourg