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Le Monde et son contraire : métamorphoses d’une chrysalide humaine

  • Écrit par : Christian Kazandjian

le mondePar Christian Kazandjian - Lagrandeparade.com/ Le monde et son contraire de Leslie Kaplan nous plonge dans l’univers de Kafka, entre douleur et dérision.

Un homme, au visage de Pierrot, se démène, engoncé dans un costume-carapace surmonté d’antennes, mains et pieds prolongés de pattes griffues. Une voix lointaine lui parvient. Il s’agite dans son sommeil peuplé de cauchemars atroces. Il est un cancrelat, comme Gregor Samsa, personnage de La Métamorphose de Franz Kafka. Au réveil, le comédien, débarrassé de l’accoutrement lui ayant permis de mimer les tribulations d’un insecte, intègre le corps de l’auteur lui-même. De réveils intempestifs en chutes et blagues de potache, le comédien, plongé dans l’univers clos, absurde de Kafka, revit l’existence de l’auteur de La Colonie pénitentiaire, du Procès : l’enfance sous le joug tyrannique du père le taxant de « vermine Â», le monotone et abrutissant travail de rond-de-cuir, l’éveil aux réalités sociales et politiques (conditions de quasi survie du prolétariat, antisémitisme, stigmatisation des différences, violences familiales et institutionnelles.) Autant de « normes Â» que bâtit une société pour rejeter l’autre, le différent, l’étranger, le fou. La parole confisquée, détournée, vidée de son sens premier vise à enfermer les individus, les groupes, dans un cocon. Qu’opposer, alors, à cette marche du monde vers l’abîme, sinon l’amour, la dérision, et l’humour né de l’absurde, domaine où excelle Kafka, comme d’autres de ses contemporains –on pense aux peintre Otto Dix, George Grosz, à l’écrivain Oskar Panizza.

Le carcan du quotidien

Tel est le propos de Leslie Kaplan, tout entier contenu dans le titre : Le Monde et son contraire. Ecrit pour un acteur sexagénaire Marc Bertin, le texte est ici interprété par Anthony Devaux, de trente ans son cadet et qu’il met également en scène. Il apporte toute sa fougue dans une prestation alternant les convulsions déjantées propres à un insecte à des plages d’un calme laissant présager une tempête prochaine, révolte à même de faire sauter le carcan d’un quotidien délétère, afin d’affirmer une présence, une parole empêchée parce qu’étrange. Anthony Devaux nous régale d’une performance physique servie par un art consommé du mime. Chaque geste, étudié, précis, renvoie à cette automatisation, cette normalité guindée, à laquelle nous condamne le regard des autres : aliénation collective rampante.

Une ode aux déclassés

Pris dans une forme de labyrinthe dressé par les réveils brutaux, les messages audio et visuels -soulignons l’importance et la pertinence de la trame sonore créée par Jeanne Susin, des éclairages de Titiane Barthel, et de la scénographie de Loana Meunier. Tout contribue, comme les lambeaux de tissus pendant des cintres, les lumières qui vacillent, les monceaux de paperasse, à donner sens à la déstructuration de l’être, prisonnier dans son propre corps, rejeté à la marge. Ce spectacle dessine, entre humour grinçant et ironie, un chant, une ode à ceux qui ne sont rien, ou perçus comme tels, à ceux qu’on prive de parole, aux invisibles. Aux poètes aussi bien sûr. Un spectacle fort mettant en lumière les visions quasi prophétiques de Kafka. Une pièce pleinement s’inscrivant dans notre époque de violences et de doutes.

Le Monde et son contraire
Texte : Leslie Kaplan
Joué et mis en scène par Anthony Devaux
Assistance à la mise en scène: Esther Wahl et Julien Toinard

Dates et lieux des représentations:
- Jusqu’au 20 mai 2023 - Les Déchargeurs, Paris 1er (01.42.36.00.50.) du jeudi au samedi.


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