Par Xavier Paquet - Lagrandeparade.com/ Si vous êtes tombé.e sur cette chronique, sachez que nous savons tout et que rien de vous ne nous a échappé : vous aimez lire des articles sur le théâtre à raison de deux fois par semaine, vous êtes abonné à un compte sur l’astrologie et lisez systématiquement les posts sur les Béliers (parisiens évidemment), vous avez recherché il y a peu quoi faire ce week-end et avez l’habitude de prendre une pause de 6min toutes les 3h. Flippant non ?

Les questionnements sur le Big data, le monde digital et technologique qui se développe à une vitesse si rapide qu’il déstabilise nos vies et nos comportements, ne sont pas nouveaux. Ils prennent ici une nouvelle tournure et sont plus que jamais d’actualité dans cette création originale.

Une petite équipe du New York Investigation, journal américain en perte d’audience et de confiance de ses lecteurs, fait face à une bombe lâchée à quelques mois de la présidentielle : un scandale sexuel éclabousse le président démocrate sortant. Un fil sur lequel les journalistes (Owen Green, le rédacteur en chef pour qui le journal est toute sa vie, Julia Robinson, la journaliste passionnée mais difficile à gérer, Kate Blackwell, l’expérimentée amoureuse transie d’Owen, et Alex Cook, le jeune chien fou idéaliste) vont tirer et découvrir bien plus qu’une simple pelote des bas-fonds politiciens : l’immersion d’une techno de pointe dans la déstabilisation et la manipulation des foules et l’apparition d’un nouveau mouvement troublant le paysage médiatique et politique. Qui manipule qui ? Qui se cache derrière cette nouvelle donne et pour quels enjeux : le clan républicain, les médias aux mains de milliardaires, ces derniers, les services secrets ou une puissance étrangère ?

Présentée sous forme de thriller, la pièce « Big Mother » s’inscrit dans une course effrénée à la vérité où les objectifs de chacun divergent et les histoires personnelles se croisent : c’est ce rythme très élevé qui guide la pièce alternant entre frénésie, urgence, introspection et hésitations. Dans cette enquête policière où démêler le vrai du faux se révèle plus compliqué que prévu, nous sommes pris par la tension : l’énergie mise sur scène, les effets lumière resserrés, la bande son créent cette urgence permanente. Malgré cela, la pièce présente aussi des moments plus doux, plus lents et plus légers avec de l’humour distillé par bribes.

La pièce est bien écrite et très réaliste (exception faite de Julia Robinson qui retrouve "par hasard" son ancien compagnon porté disparu) et distille beaucoup d’informations et d’espaces temps, ce qui est parfois compliqué à suivre et aurait mérité d’être davantage resserré. Tous les sujets actuels y sont abordés et traités avec pertinence : manipulation de masse, désinformation, deepfakes, théories du complot, polarisation des idées, lobbying, storytelling, confiance dans les élites et les médias.

« Big Mother » est une pièce très réussie avec une scénographie grandiose : un dispositif porté par des écrans disséminés comme des fragments de nos vies matérialisant les époques, les tranches de vies, les lieux, titres des journaux etc.  Toujours allumés, ils symbolisent l’omniprésence et la saturation d’informations de nos quotidiens.
La direction d’acteurs, tout en énergie, en déplacements et tableaux chorégraphiés, en ruptures et intentions variées, apporte tout le rythme et l’ambiance de la pièce. Certains passages sont savoureux, comme la conférence de presse d’une porte-parole de parti.

Satire de notre monde contemporain et de notre inquiétude sur l’avenir, « Big Mother » interroge la place des médias et des réseaux sociaux dans le contrôle de nos choix et leur influence dans l’orientation de nos vies. « Je préfère une majorité qui se trompe qu’une minorité qui nous trompe » déclare un jeune milliardaire aux allures d’Elon Musk : nos journalistes intègres et idéalistes, amoureux de leur métier et soucieux du devenir de la société, se veulent le quatrième pouvoir qui entend déstabiliser les trois autres. Tout un symbole ?

Big Mother 
Texte : Mélody Mourey
Avec  Patrick Blandin, Pierre-Yves Bon, Ariane Brousse, Guillaume Ducreux, Marine Llado, Karina Marimon
Mise en scène : Mélody Mourey 

Dates et lieux des représentations: 
- Jusqu'au 31 mars 2023 au Théâtre des Béliers Parisiens ( 14 bis rue Sainte Isaure, 75018 Paris) 

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