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« Smith & Wesson » : le rêve américain selon Alessandro Baricco…

  • Écrit par : Serge Bressan

smithPar Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / Il y eut d’abord le livre en 2018. Maintenant, il y a la pièce de théâtre. A la manÅ“uvre, le toujours excellent Alessandro Baricco, 64 ans, auteur des éternels « Novecento : Pianiste Â» (1994) et « Soie Â» (1996).

On le retrouve avec « Smith & Wesson Â», pièce en deux actes et mouvements pour un texte délicatement effervescent et charpenté. Nous voilà hier lectrices et lecteurs, aujourd’hui spectatrices et spectateurs, embarqué.e.s « non loin des chutes du Niagara, année 1902 Â». L’auteur, également metteur en scène, a pris soin de préciser : « Intérieur d’une cabane de fortune, bordélique mais digne. Un homme est couché sur son lit. Il ne dort pas nécessairement. Il est là, tranquille. On frappe à la porte Â». L’homme sur le lit, c’est Wesson- il demande : « Qui est-ce ? Â». Celui derrière la porte, c’est Smith- il répond : « Mme Higgins, là-haut à l’hôtel, m’a parlé de vous. Elle m’a dit que je pouvais venir vous voir Â». Wesson : « Mme Higgins est une putain ! Â» Smith entre, découvre Wesson sur son lit, lui dit : « Excusez-moi, je ne savais pas que vous dormiez… Â» et l’autre, de répondre : « Je ne dors pas, je suis alité. Tous les quatre mois je reste au lit cinq jours, pour remettre mes organes en place, la position horizontale aide à rétablir l’équilibre interne, je reste au lit et mange de la purée de fèves. Je me lève juste pour pisser, mais rarement. Et pour réchauffer ma purée de fèves Â»â€¦

Dans un échange aussi effervescent qu’un lambrusco, aussi charpenté qu’un lacryma christi, les deux hommes ne révèlent leurs noms qu’à la fin du premier mouvement allegro. L’homme alité s’est fait une spécialité : récupérer les corps des déçus de l’amour qui se sont jetés dans la folie des chutes du Niagara. Le visiteur est météorologue statisticien et mène une enquête sur le temps qu’il a fait chaque jour dont se souviennent les personnes qu’il rencontre. On y ajoute les prénoms des deux : Tom (Smith) et Jerry (Wesson). Comme le chat et la souris, sauf que les deux hommes se rencontrent une bonne quarantaine d’années avant l’apparition du dessin animé avec les deux bestioles !
Les deux, l’alité et le météorologue, devisent quand arrive une troisième personne. Une jeune femme- prénom : Rachel, nom : Green. Elle est journaliste à San Francisco. Pour la tenir à distance, son chef n’a rien trouvé d’autre que de l’envoyer en reportage aux chutes du Niagara- elle n’a pas supporté qu’on ne lui confie que les sujets secondaires et ne s’est pas privée de le balancer à la cheffaillerie : « Je crois que je leur ai tout balancé, et en particulier qu’ils n’étaient qu’une bande de porcs Â»â€¦
Evidemment, la jeune femme veut devenir célèbre. Son chef attend d’elle un scoop mais sur les chutes du Niagara, tout a déjà été écrit. Alors, avec l’aide des deux hommes et de Mme Higgins, patronne de la maison-hôtel (ou plus sûrement mère-maquerelle, ou encore « peut-être Dieu Â», selon Baricco…), elle va tenter l’exploit puis le raconter. Descendre les chutes folles du fleuve et en sortir vivante. Elle effectuera le parcours dans un tonneau aménagé par Smith, elle sera peu vêtue parce que la bande des quatre va faire payer le spectacle ! Wesson qui doit récupérer Rachel en bas des chutes : « Nous avons décidé que le 21 juin, jour du solstice d’été, le premier être humain de l’histoire des êtres humains se jettera dans les chutes du Niagara non pas pour mourir mais pour vivre Â».
La mise en scène concoctée par Alessandro Baricco pétille, et offre de doux moments oniriques, quasi lunaires- on songe, par instants, aux éclairs d’un autre génie italien, le réalisateur Paolo Sorrentino (entre autres, « The Young Pope Â» et « Youth Â»). Côté distribution, ça joue juste : Christophe Lambert, premier prix d’art dramatique au Conservatoire royal de Mons en 2000, est parfait dans les habits de Smith, le météorologue « génial Â», tandis que, de sa voix profonde, le comédien belge Laurent Caron incarne un Wesson délicieusement et gentiment loser. Dans les habits de Rachel Green, Lou Chauvain déborde d’énergie et embarque tout son monde dans son projet empli de folie. Quant à Lolita Chammah qui n’apparaît qu’en mi-deuxième partie pour un long monologue (une bonne dizaine de minutes), en Mme Higgins, elle attrape le public et l’emmène dans son univers et ses réflexions. Maître dans l’art du loufoque, l’auteur ne se prive pas de décocher quelques sentences sur la métaphysique et la morale, sans oublier des propos à peine masqués sur une certaine Amérique, celle de 1902, qui fait écho à celle d’aujourd’hui. « Les humains sont toujours les mêmes, dit Alessandro Baricco. Tous ont des échecs derrière eux, et des défis devant eux. Je pense que beaucoup de spectateurs verront simplement sur scène leur propre histoire… Â»

« Smith & Wesson Â» d’Alessandro Baricco
Adaptation et mise en scène : Alessandro Baricco
Traduction française et adaptation : Lise Caillat
Scénographie : Maggy Jacot
Distribution : Christophe Lambert, Laurent Caron, Lolita Chammah, Lou Chauvain, Andréa et Géraldine Tshibuabua
Costumes : Giovanna Buzzi
Création sonore : Nicola Tescari
Son : Jean-Pierre Urbano
Lumière / vidéo : Guillaume Rizzo
Durée : partie 1 : 45 minutes ; entracte : 20 minutes ; partie 2 : 45 minutes.

Dates et lieux des représentations: 
- Jusqu’au 20 novembre 2022. Mardi au samedi, 20h30. Dimanche, 15h00. Théâtre du Rond-Point ( 2 bis Avenue Franklin D. Roosevelt, 75 008 Paris)  - Tél. : 01 44 95 98 21 - www.theatredurondpoint.fr
- 2 et 3 Décembre 2022- Grand Théâtre de la Ville de Luxembourg (Luxembourg)
- 30 Mai et 1er Juin 2023- Centre Culturel d’Uccle (Belgique)

 


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