Trauma : désastres de la guerre
- Écrit par : Christian Kazandjian
Par Christian Kazandjian - Lagrandeparade.com/ Trauma nous plonge dans l’enfer de la guerre et des bouleversements qu’elle provoque chez les combattants et leurs proches.
Un appartement ; la TSF transmet un boogie woogie. Une ville aux Etats-Unis qui pourrait se trouver en Oklahoma, en Idaho, ou n’importe où ailleurs. Une femme, plutôt une silhouette de femme, immobile. Tout à coup le grondement des canons, les tirs de fusil, l’éclat des obus bousculent la paisible demeure : le malheur vient d’y entrer, sournoisement. La guerre, elle, se déroule, loin, en France, en Normandie, sur Omaha beach ; les troupes américaines et alliées viennent de débarquer en ce 6 juin 1944. Deux jeunes GI apparaissent dans le halo d’une lumière voilée. Ils en étaient, ils racontent l’horreur, les copains morts avant même d’avoir quitté les barges, ceux que la mitraille hache à hauteur de bassin, ceux dont le visage n’est plus que bouillie. Les survivants pataugent dans la mer qui a viré rouge sang, puis plongent sur la plage dans un trou où agonise un des leurs. Le vacarme semble émerger des entrailles de l’enfer, l’odeur de corps calcinés infecte les poumons. La guerre dans toute sa cruelle et indécente horreur. Méran (Diego Colin) arrive chez lui ; Cameron, sa fiancée l’attend, anxieuse. Ces retrouvailles qui auraient pu être une fête virent au cauchemar. L’homme qui retrouve son foyer a laissé, quelque part sur une plage maudite, une part de son humanité. Abîmé dans son être, blessé, il en vient à blesser ceux qu’il avait aimés, exhumant de vieilles rancœurs, notamment envers Vilas (Baptiste Znamenak) son ami et compagnon de combat. Mais peut-on surmonter pareil traumatisme ?
La torture de l’attente
Ecrite par Erine Serrano, qui met en scène et joue l’épouse, Trauma met en lumière les dégâts, physiques –Vilas y a perdu un bras-, mais surtout psychologiques, causés par la guerre, sur les soldats mais également sur les proches : on peut parler, selon l’expression désormais consacrée, de « victimes collatérales ». Pour ces dernières, l’incertitude, l’attente constituent de véritables tortures. Le texte (Erine Serrano avait 19 ans quand elle l’a écrit), d’une cruelle nudité, donne à ressentir l’angoisse, les accès de violence et de haine, les doutes, obsessions envahissantes du soldat au front, puis les bouleversements qui s’opèrent plus tard dans leur tête. La description quasi clinique du carnage, rappelle que la guerre est une plaie qui contamine, sape les certitudes des individus. Trauma se refusant à glorifier l’héroïsme les combattants, comme la plupart des grandes productions cinématographiques, nous restitue les relents pestilentiels des corps en décomposition, de la merde, l’odeur âcre de la peur. D’aucuns pourraient trouver les descriptions trop crues, voire insupportables. Mais, c’est de guerre dont il est question. Et non ! la guerre n’est pas jolie.
Un message de paix
Les trois jeunes comédiens mettent toute leur verte ardeur dans leur rôle. Le décor d’un intérieur cosy devient l’arène où se déchaînent les passions, jusqu’à l’apaisement final. Méran, boule de violence et de fragilité, avec l’aide de Cameron, se débarrasse, petit à petit, de ses effets militaires jusqu’à une totale nudité, recouvrant ainsi sa véritable nature ; la guérison sera longue et peut-être jamais définitive. Mais Méran, revêtant la tenue militaire des mains de Cameron, comme il le firent, une année auparavant, se sent prêt à délivrer un message de paix, un appel à la fraternité, qui n’est pas sans rappeler (référence ?) celui de Charlie Chaplin, à la fin du Dictateur. Une pièce, servie par un trio à l’énergie vivifiante, à voir, alors que les guerres, surmédiatisées ou oubliées, déchirent des dizaines de pays, niant les individus dans leur humanité même.
Trauma
Texte et mise en scène : Erine Serrano
Création musicale : Marlon Ythier
Costume : Marion Brunat
Maquillage : Salomé Travaux
Jeu : Diego Colin, Erine Serrano, Baptiste Znamenak
Durée : 1h / A partir de 12 ans
Dates et lieux des représentations:
- Jusqu’au 22 novembre 2022 - Les Déchargeurs, Paris 1er (01.42.36.00.50.) du dimanche au mardi.