Par Xavier Paquet - Lagrandeparade.com/ Le silence se fait, le temps s’arrête, le bras et la main se lèvent dans un même accord et se suspendent avant de plonger sur les touches du piano. Le corps avachi, le visage si proche du clavier pour en ressentir les vibrations, ce visage qui murmure et fredonne pour ne faire qu’un avec les notes.

Telle était la "grâce" de Glenn Gould et de sa musique, une grâce si particulière pour un pianiste si différent qui a révolutionné l’interprétation du classique en la faisant sienne.
Derrière chaque grand musicien, il y a un grand Homme et toute l’intelligence de « Glenn naissance d’un prodige Â» est de s’intéresser à l’homme qui a façonné l’artiste aussi bien que l’artiste qui a modelé l’homme. Derrière ce destin exceptionnel et cette personnalité si atypique, se cache une femme : sa mère. Le parti-pris de la pièce est de raconter la légende Gould par le prisme et l’importance que Flora Gould aura eu sur la construction artistique de son fils tout autant que sur son incompatibilité sociale et humaine. La pièce suit la chronologie de la vie de Glenn, de son enfance où très tôt il a eu l’oreille absolue et a appris la musique par sa mère, qui l’enferme dans son amour des notes afin de lui transmettre sa passion du classique. Mais pour cela Glenn est déconnecté du monde extérieur, de toute relation sociale, couvé et surprotégé, conditionné par l’obsession et l’omniprésence maternelles. C’est donc cette construction personnelle et ce drame familial qui nous sont contés, cet enfermement physique comme mental qui forgeront la personnalité à part d’un Glenn incapable d’un comportement normal en société.

Au côté d’une mère intransigeante et castratrice, se dessinent une galerie de personnages qui ont marqué le destin du pianiste : son père plus dévoué, sa cousine Jessie, la seule à le comprendre et à en tomber amoureuse, son impresario ainsi qu’un présentateur de radio, le directeur de CBS etc... Chacun est interprété avec justesse pour retranscrire la beauté et la perversité des situations, des rencontres et de ce parcours artistique. Une mention spéciale à Thomas Gendronneau qui sait donner le La pour faire de ce Glenn un personnage aussi drôle qu’attachant, un hypersensible hypocondriaque et capricieux, un génie qui réinvente la musique.

Dans cette histoire aux allures dramatiques, on rit beaucoup entre l’intelligence de texte, l’intelligence de jeu et le comique de situation, ce qui nous force à nous attacher encore davantage à la personnalité de cet homme resté adolescent. On peut regretter de ne pas être rentré davantage dans l’émotion tant le chemin de vie l’y autorisait.

La mise en scène installe une ambiance feutrée composée de deux espaces à cour et jardin avec table et téléphones comme deux mondes qui se répondent sans vraiment se rencontrer. Au centre, une immense fenêtre plante le décor au gré des années : maison au Canada, concert, studio de radio, etc..Elle est animée par l’utilisation soignée de la vidéo qui donne élégance et cachet à la scénographie.

« Glenn naissance d’un prodige Â» expose le portrait d’un être hypersensible, enfermé dans une vocation qui n’était pas sienne mais qui lui a donné son identité artistique et son destin. Derrière la liberté d’esprit, la folie créatrice, se cache aussi l’incapacité de Glenn à pénétrer un monde extérieur pour mieux se réfugier dans son monde intérieur et être en accord avec lui-même.

L’histoire d’un homme prisonnier de ses phobies et de sa famille, prisonnier de lui-même et se complaisant dans un idéal de solitude dans lequel la souffrance n’est jamais loin. Comme si le bonheur si proche à portée de notes se dérobait au fur et à mesure que le son s’évapore.

GLENN, NAISSANCE D’UN PRODIGE

Avec: Josiane STOLERU, Bernard MALAKA, Thomas GENDRONNEAU, Lison PENNEC, Benoit TACHOIRES et Stéphane ROUX
De et mise en scène: Ivan CALBERAC
Scénographie: Juliette AZOPPARDI et Jean-Benoît THIBAUD
Lumières: Alban SAUVÉ
Vidéo: Nathalie CABROL
Costumes: Bérengère ROLAND
Assistante à la mise en scène: Florence MATO

Dates et lieux des représentations: 

- Jusqu'au 18 décembre 2022 au Théâtre du Petit Montparnasse ( 31 rue de la Gaité, 75014 Paris)