Par Christian Kazandjian - Lagrandeparade.com/ L’incivile ou quand un conseil de discipline devient, éveillant la figure d’Antigone, théâtre d’une tragédie contemporaine.

Nour, brillante élève de terminale, décide, lors d’une restitution, dans l’atelier théâtre du lycée, d’interpréter le monologue d’Antigone, un voile recouvrant ses cheveux. Expulsée du plateau par la directrice de l’établissement, l’adolescente, sommée d’expliquer et de renier son geste, persiste dans son attitude. Sait-elle, alors qu’elle vient de déclencher une tempête qui débordera le cadre du lycée, pour agiter les réseaux sociaux, la presse et l’espace public ? Face au malaise que ses silences et son corps en souffrance exprime, les enseignants, appelés comme jurés du conseil de discipline, en viennent à s’opposer, faisant exploser une unité de façade factice, qui rejaillit jusqu’au sein des couples. Chacun tente de s’expliquer : est-ce la faute de l’enseignant qui a remis, entre les mains de jeunes gens un texte dangereux ? Celle du père de la jeune fille ? La responsabilité de l’institution ? De la société ? L’acte de Nour, considéré comme de désobéissance d’adolescente ou comme cri de détresse d’une jeunesse, amène tous les acteurs à s’interroger sur eux-mêmes : certains enseignants doutent de leur rôle quand d’autres s’accrochent aux principes d’une stricte et rigide laïcité. Nour devient une Antigone moderne qui, seule face à l’institution-Créon, expose le malaise de toute une frange de jeunes, « issus de l’immigration Â», qui ne se reconnaissent plus dans le société et jusqu’au sein leur famille. Le geste de Nour, bien au-delà, interroge sur les visions que les citoyens ont de la liberté individuelle parfois piétinée par les réseaux sociaux, de la place des femmes, des diversités culturelles et religieuses, du rôle de l’école de la République. Cette dernière ne sert-elle qu’à transmettre des savoirs simplement utiles ou doit-elle, en tant que vecteur culturel, donner des outils pour penser et mieux comprendre les mouvements du monde ? L’incivile ouvre le champ à ces réflexions. N’est-ce point là la fonction même du théâtre ?

Libération de la parole

La mise en scène s’appuie sur l’absence de décor : quelques tables, quelques chaises : austérité de prétoire. Le texte et les dialogues opèrent comme changements de lieux et de personnages. Le drame se déroule dans la salle d’un conseil de discipline, mais, en déborde rapidement, s’invite, en questions sur soi-même, chez chacun des protagonistes (et sur le public), apanage d’un théâtre politique que l’époque troublée, en butte à l’exclusion et la xénophobie, semble devoir convoquer. La vacuité du plateau permet à la parole de se libérer. Car Nour-Antigone n’est-elle pas une figure des Antigone, en lutte, un peu partout, dans le monde, pour leurs droits et leur dignité, et, partant, pour ceux de tous ?  La liberté, les libertés, sont un combat qu’on ne peut importer : on ne fait pas le bonheur des individus par la coercition ou le paternalisme. Ce pourrait être un des messages que transmet cette Antigone moderne. Un spectacle (puisque nous sommes tout de même au théâtre) remarquablement servi par quatre comédiennes et trois comédiens, qui voguent, avec conviction, de scènes drôles en épisodes tragiques, à travers de mini-scènes jouées comme autant de vignettes d’un quotidien somme toute banalement humain.

L’incivile
Ecriture et mise en scène : Lauren Houda Hussein et Ido Shaked
Avec Charlotte Andrès, Laurent Barbot, Anissa Daou, Lauren Houda Hussein, Dan Kostenbaum, Arthur Viadieu et Noémie Zurletti
Création lumière : Victor Arancio
Création son : Thibault Champagne
Costumes : Sara Bartesaghi Gallo
Photos © Nicolas Martinez

Dates et lieux des représentations :
- Jusqu’au 18 décembre 2021 - Le Grand Parquet, Paris 18e (01.40.03.72.23.)

- Les 12 et 13 janvier 2022 au Théâtre Firmin Gémier Antony

- Le 20 janvier 2022 à la Scène nationale d'Aubusson