Théâtre : le rêve d'une vie
- Écrit par : Christian Kazandjian
Par Christian Kazandjian - Lagrandeparade.com/ L’adaptation d’Une vie de Maupassant nous plonge dans l’atmosphère onirique des contes. Avec une forte dose de réalité.
Un couple de saltimbanques, mère et fils, se prélassent au soleil. Ils se lancent alors dans ce qu’ils savent le mieux faire : raconter des histoires. Ce sera celle de Jeanne, dix-sept ans, fille de barons de province, qu’on marie au vicomte Julien de Lamare, un viveur. Les deux voyageurs - la femme jouant le rôle du vicomte et le fils celui de Jeanne, avant qu’ils n’endossent ceux de la servante Rosalie, des parents de la jeune épousée, des paysans ou des pêcheurs du coin – nous mènent de Normandie en Corse, choisie comme cadre à la lune de miel. Puis ce sera le retour au pays et, pour l’ingénue épouse le début des désillusions et des peines : son mari la trompe avec une amie, engrosse la petite bonne, sa mère lui enseigne à obéir aux hommes. Lui naît Paul, un fils prématuré, à la santé précaire ; puis survient la douleur de perdre, à la naissance, une fille. A la mort de l’époux volage, assassiné avec sa maîtresse par le mari cocu, elle doit affronter les incartades d’un fils qui dilapide le patrimoine. Elle sombre dans la dépression, avant que la lumière ne renaisse sous forme d’un nourrisson que lui confie son fils. Le souvenir des jours heureux, en Corse, au début d’une vie qu’elle avait alors espérée heureuse, rend à Jeanne le goût de vivre.
L’évocation du voyage
Tirée du roman de Maupassant, Une vie, l’adaptation à la scène de Véronique Boutonnet, baigne dans l’atmosphère des contes. Les costumes des saltimbanques, le détournement des objets de leur fonction première (un tapis devient un torrent impétueux, une malle, un comptoir de bar, etc.), la musique jouée in vivo à la guitare, les chants dans différents idiomes et accents, les bruitages confiés aux acteurs, tout est là pour évoquer le voyage, le rêve : on se sent comme transporté dans une peinture de Delacroix. Et la mer, qui fait tant rêver Jeanne, est omniprésente, avec des cris de mouettes et un voile léger qui flotte poussé par les brises du large.
La beauté de la langue
Maupassant a suscité des adaptations multiples de son œuvre : une trentaine de films (trois pour Une vie), quinze téléfilms au moins, une multitude de BD. On se souvient également des Contes paysans, magistralement dits par Gérard Guillaumat. Il faut le dire : la langue de Maupassant, tout autant que les intrigues de ses romans et contes, prête à l’écoute. Tout à la fois poétique dans les descriptions de paysages et des gens, verte et juteuse, s’agissant de celle du peuple, elle ravit et subjugue auditeurs et spectateurs. Et derrière la beauté du texte percent les réalités sociales du XIXe siècle, mais également d’aujourd’hui, avec notamment la place des femmes dans nos sociétés, encore largement dominées par le patriarcat. Rosalie, la servante est soumise à des agressions sexuelles de son patron, Jeanne est sommée de s’occuper de son foyer et d’élever ses enfants et même la fille de son fils. Réduite à une silencieuse solitude, il ne lui reste que le rêve d’un passé heureux, lointain, pour ne pas sombrer définitivement.
L’adaptation et la mise en scène servent admirablement la langue de l’auteur de Bel-Ami, Le rosier de Madame Husson, Le Horla, jouant sur l’appel à l’imaginaire que fait naître le verbe. Véronique Boutonnet et Victor Duez passent d’un personnage à un autre, maniant avec maestria la délicate touche intimiste de l’aquarelle comme les traits appuyés du burlesque. Une façon efficace et plaisante de servir Maupassant et donner envie de se (re)plonger dans l’œuvre d’un styliste d’une belle langue, marquée toutefois d’un fond de pessimisme, voire parfois, de fantastique.
Une vie
D'après Guy de Maupassant
Adaptation : Véronique Boutonnet
Mise en scène : Richard Arselin, assisté de Pauline Devinat
Avec Véronique Boutonnet, Victor Duez
© luca lomazzi
Dates et lieux des représentations :
- Jusqu’au 29 janvier 2022 au Théâtre Essaïon, Paris 4e (01.42.78.46.42.), les jeudis, vendredis et samedis à 19h30