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Le Complexe de Dieu : violences à l’ombre des sacristies

  • Écrit par : Christian Kazandjian

complexePar Christian Kazandjian - Lagrandeparade.com/ Le Complexe de Dieu conte, à partir d’un témoignage, une histoire d’abus au sein de l’église. Avec Molière en renfort.

Une salle de répétition. On y travaille Tartuffe ou l’imposteur de Molière. Matthias, jeune comédien est engagé, après avoir convaincu par sa personnalité tout d’excès et violence, pour interpréter Tartuffe. On en arrive à la scène où le faux dévot tente de séduire Elmire l’épouse de son hôte Orgon. Poussé, par le metteur en scène, à exprimer une concupiscence proche de l’acte de viol, Matthias craque. Il hurle son dégoût. Céline, son amie et partenaire de scène, le pousse à extirper un lourd secret enfoui depuis l’adolescence : il a, entre 12 et 14 ans été abusé par un curé, le père Damien, un saint homme, adulé par sa mère et tout le village, maître du chœur de l’église et adepte de sport. Le gamin, sous l’emprise de l’homme de Dieu, lui offre poèmes et son jeune corps, sous le regard aveugle des parents.  Imaginez ! : un représentant de Dieu sur ce calme coin de campagne, loin des tentations de Paris où Matthias s’installe à l’âge adulte. Matthias et Céline tentent en vain de convaincre la mère du jeune homme de la véracité des violences endurées, des années plus tôt, par son enfant. Confite en eau bénite, chargée du fardeau d’un adultère commis avec un homme d’église, elle finira par se rendre à l’évidence, tout en refusant de condamner le prêtre ; ce que fera la justice, lorsqu’enfin, surmontant sa honte, son besoin d’effacer un acte horrible, Matthias accepte de témoigner. 


De l’impunité du criminel
La pièce aborde un sujet que Ciase (Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’église) a récemment dévoilé : l’ampleur des crimes commis dans l’ombre des sacristies et des confessionnaux (330 000 victimes déclarées depuis 1950). L’impunité dont ont joui les violeurs, protégés par le secret de la confession et leur hiérarchie, porte un nom : le complexe de Dieu. Celui qui en souffre, n’éprouve aucun respect des règles sociales, se juge infaillible et possédant seul la vérité. A travers le personnage de la mère on perçoit, de son refus ou son incapacité à voir les faits, la puissance de l’échafaudage sur lequel se bâtissent les crimes sexuels. Et lorsque la vérité éclate enfin, c’est la culpabilité de ne pas avoir su protéger l’enfant qui génère la douleur. La pédophilie, comme le viol en général, abîme les victimes mais également leurs proches.


De l’ombre à la lumière
Le Complexe de Dieu, allie habilement la répétition du Tartuffe avec le drame vécu par Matthias : le théâtre comme révélateur de blocages psychologiques. La mise en scène accentue cette approche : les époques s’entrecroisent, les personnages sautent d’une époque à l’autre, sans pratiquement quitter le plateau ; les costumes sont changés à la volée : théâtre de la vie. La décor se décline en deux panneaux blancs comme deux pages vierges d’où ont été effacés les souvenirs douloureux, pages sur lesquelles on pourra, enfin, coucher la réalité. Tout se joue entre ombre et lumière : les visages apparaissent puis se fondent dans le noir, va-et-vient entre le besoin d’oublier et celui de laisser s’exprimer la vérité. On le voit bien, aujourd’hui, en constatant qu’il a fallu aux victimes des dizaines d’années pour avoir le courage et la force de parler, face aux silence de l’église et l’aveuglement d’une société-Orgon.  Interprété avec justesse et retenue par les quatre comédiens que nous vîmes (les rôles sont repris en alternance), Le Complexe de Dieu interroge chacun de nous dans sur les violences sexuelles et les harcèlements de différentes natures qui blessent, salissent et poussent parfois à la déchéance morale, voire au suicide. Un travail d’une remarquable teneur et d’une prégnante actualité.

Le Complexe de Dieu
Texte : Anthony Puiraveaud
Mise en scène : Jean-Luc Voyeux
Avec (en alternance) Théo Dusoulié ou Olivier Troyon, Lucille Bobet ou Léonie Duédal, Anne-Cécile Crapie ou Béatrice Vincent, Jean-Marc Coudert ou Jean-Luc Voyeux

Création lumières : Florian Guerbe

Création costumes : Rose Muel
Photos  : Franck Harscouët

Dates et lieux des représentations :
- Jusqu’au 8 décembre 2021 - Le Funambule Montmartre Paris 18e (01.42.23.88.83.), lundi et mercredi.

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