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Les Créanciers : une tragi-comédie qui rappelle le prix de l'amour

  • Écrit par : Guillaume Chérel

Les créanciersPar Guillaume Chérel - Lagrandeparade.fr/ « Je ne tarderai pas davantage à vous dire l’admiration sans bornes que j’ai conçue pour « Les Créanciers » qui reste et restera la seule œuvre dramaturgique, j’entends faite uniquement pour la scène, dont je veuille me souvenir. » Ainsi parlait André Breton de cette pièce « modernisée » par Frédéric Fage, le metteur en scène, et qui sera « donnée » (comme on disait jadis) à l’Auditorium Saint-Germain (Paris Vie), du 12 au 27 janvier 2016. Mais avant d’en dire plus, rappelons qui était August Strindberg (1849-1912).

Johan August Strindberg est un écrivain (et dramaturge) suédois. Fils d’un commissionnaire maritime, il passe pour un esprit révolté et romantique. Refusant de se plier à la discipline universitaire et attiré par les grands hommes de lettres, il décide de se consacrer à l’écriture et s’illustre comme l'un des pères du théâtre moderne. Ses débuts d’auteur s’avèrent particulièrement délicats (1872, « Maître Olof ») et ses premiers écrits - dans le style naturaliste - traitent généralement du rôle traditionnel attribué aux sexes par la société (qu'il estimait injuste). La célébrité arrive avec son roman « La Chambre rouge » (1879) : une description du milieu artistique, littéraire et journalistique de son époque.
 Évoluant dans les milieux socialistes et anarchistes, August Strindberg est admiré du prolétariat, est apprécié dans les pays communistes (Cuba, Union soviétique…) et marie sa fille Karin à l’un des leaders bolcheviques Vladimir Mikhaylovich Smirnov. A la fin des années 1880, August Strindberg renie les convictions socialistes et se lie d’amitié avec Friedrich Nietzsche avec qui il correspond. Suite à un problème financier (on y vient…), il se brouille avec ce dernier et se tourne vers le mysticisme. Il subit ensuite une période de trouble intérieur et de crises qui s'achève en 1897 par l'écriture d'un livre en français, « Inferno ». Après sa période naturaliste, dont l'œuvre phare est « Mademoiselle Julie » (1888), August Strindberg trouve son inspiration dans le symbolisme et passe pour l’un des pionniers de l'expressionnisme européen. Deux des pièces de cette époque remportent un vif succès : « La Danse de mort » (1900-1901) et « La Sonate des spectres » (1907). Ses relations avec les femmes sont orageuses (il a été marié à trois reprises sans succès) et ses propos et ses actes ont souvent été vus comme misogynes. Nous y voilà… Voici donc le pitch : un homme (Gustave) vient réclamer des comptes à son ancienne épouse (Tekla), une romancière devenue célèbre grâce à son second mari (Adolf), peintre-sculpteur qui a lancé sa carrière. Dans « Les Créanciers », August Strindberg met en place un trio amoureux au sein duquel les bénéfices sentimentaux équivalent à des lignes de crédits. Ce trio, le metteur en scène Frédéric Fage, formé par Jean-Laurent Cochet, le confie à Maroussia Henrich, Benjamin Lhommas et Julien Rousseaux, tous les trois excellents ; comme la danseuse qui illustre la femme castratrice, ou passionnée, tout dépend du point de vue : « Adolf est un personnage très actuel, beau, tatoué et très attachant, explique Frédéric Fage. Gustave, quant à lui, répond à un style très bobo. Seule Tekla correspondra à une beauté classique, diaboliquement rousse et dangereusement attirante. ». Notons la beauté du premier tableau, c’est le cas de le dire, tant la silhouette du mari tourmenté ressemble à Marat assassiné dans sa baignoire. Le plan fixe est superbe. De l’art pictural on passe au cinéma de Woody Allen, ou plutôt d’Ingmar Bergman évidemment, tant les dialogues sont vivants, subtilement intelligents.
Or donc, dans les habits de notre XXIème siècle, trois jeunes beaux comédiens ont pour charge de renouveler le genre de cette tragi-comédie : « pour élargir sa diffusion à un public plus large, notamment auprès des jeunes ». Le pari est gagné. Le décor n’est plus vraiment d’époque mais rien n’a changé en ce qui concerne les relations amoureuses, plus qu’ambigües. Gay-friendly, on va dire… Que ce soit entre hommes et femmes, ou plus largement entre amants. Il suffit d’avoir vécu en couple plus de quelques mois, entre vingt et trente ans (les années d’apprentissage et de passion fougueuse) pour s’identifier aux personnages... Pour Strindberg, si l’amour n’est pas une monnaie, il n’est pas un acte gratuit non plus : il laisse des « créances » dans le cœur des amants. Dans les liens qui se tissent, le serments qui s’échangent, chacun est créancier de l’autre et peut à tout moment venir reprendre ses gages, ou demander des comptes.
« Les Créanciers » est une double histoire d’amour qui se solde entre une femme – femme libre et amoureuse, rappelons-le – et deux hommes follement épris d’elle. Il est évidemment question de jalousie, de vengeance, de manipulations et de ressentiments, plus que de sentiments ; bref de rapports de force (il y a un prétendu « faible », assez fort pour mourir d’amour ; un faux fort, trop cérébral et narcissique pour aimer vraiment ; et une femme libre qui ne peut pas tout maîtriser : mais peut-on demander à l’océan Atlantique de se maîtriser ?). C’est le récit intemporel et « transgénérationnel » (limite transgenre, queer, car bisexuel entre les deux hommes) du trio amoureux. Que ce soit en Suède, à la fin du XIXe siècle, où de nos jours, la femme veut assumer son désir d’indépendance, comme elle l’entend. Dans un espace ouvert à l’imaginaire, en face d’elle, deux personnages masculins illustrent l’analyse toute personnelle d’un poète visionnaire au « cœur tourmenté »… Pour ne pas dire amateur de « prise de tête », comme dirait un « djeune » bobo de 2016.

Les Créanciers
D’August Strindberg
Mise en scène : Frédéric Fage.
Avec Maroussia Henrich, Benjamin Lhommas, Julien Rousseaux.
Musique : Stéphanie Renouvin et Olivier Bovis.

Dates des représentations:

 - Les 12, 13, 18, 19, 25, 26 et 27 janvier 2016 à l’Auditorium Saint-Germain, 4, rue Félibien – 75006 Paris. Tel : 01 46 34 68 58
- 30 représentations  au Studio Hébertot ( 78 Bis, Boulevard des Batignoles, 75017 Paris) le 15 mars à 21h et du 22 mars au 23 avril 2016, du mardi au samedi à 21H00,les dimanches à 15H00.

- Du 7 au 30 juillet 2016 à 19h au  COLLÈGE DE LA SALLE (3, place Louis Pasteur - 84000 Avignon) - Festival d’Avignon Off

- Une représentation exceptionnelle en Avril 2017 au Liban 

- A Montréal pour 7 représentations en juin 2017

- Du 7 au 30 juillet 2017 au Théâtre des Corps Saints - Festival Avignon Off 2017

 

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