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La raconteuse de films : une superbe fable désenchantée au "coeur de grenade" de la Cie Teatrocinema

  • Écrit par : Julie Cadilhac

La raconteuse de filmsPar Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ Désert aride d'Atacama. Chili. Maria Margarita est devenue guide dans les mines de salpêtre. Au coeur de cette "province de l'Enfer", elle demeure comme un vestige vivant d'une époque qui a définitivement disparu, une flamme qui brûle encore et se rappelle une enfance heureuse où bras dessus bras dessous, avec ses deux frères, son père mineur et sa mère " coquette comme une artiste", elle partait le coeur léger au cinéma, cette "fabrique de l'illusion" qui autorisait une évasion sans pareille, passerelle magique " de la cruauté du monde réel à un monde merveilleux".

Jusqu'au jour où son père devient tétraplégique suite à un accident de travail et que sa mère quitte le foyer pour poursuivre le rêve naïf de devenir une égérie des planches. " Parfois tous les malheurs arrivent en même temps." L'argent se fait rare et la famille ne peut plus subvenir qu'à l'achat d'un seul billet de cinéma par séance. Qui en profitera? Un concours s'improvise alors entre la jeune et volubile Maria, son aîné de frère Mariano, qui bégaie, et Mirto et son vocabulaire peu châtié, pour savoir qui sera celui qui deviendra le "raconteur" officiel des films visionnés. Avec autant d'humour que d'émotion, d'implication que d'espiéglerie, les trois concurrents nous invitent à vivre au travers d'une prestation théâtrale improvisée tout d'abord un long-métrage sur le débarquement de Normandie, puis un film de science-fiction à la Godzilla, un film historique bouleversant où l'obscurantisme religieux envoie sur le bûcher le héros principal et enfin un "western" mexicain.

Maria puise dans les " germes de sa mémoire" et trie "les fragments de ses souvenirs", " poussières d'étoiles" à la valeur inestimable, pour nous restituer son histoire dans un flashback émouvant. Comme en suspension, le spectateur écoute ce destin dramatique dans laquelle deux voix se mêlent : celle de la narratrice adulte et celle de la narratrice enfant. Cette pièce fabuleuse oppose le rêve du cinéma avec la dureté de la vie. Dans une existence où elle a l'impression de vivre à crédit, Maria, au coeur de la pampa où elle est abandonnée au fur et à mesure de tous ceux qu'elle aime, a appris à définir avec une triste lucidité le mot "grandir": accepter que la vie ne réponde pas à ses désirs. Prodigieuse métaphore filée, " La raconteuse de films" dépeint en parallèle la chute douloureuse d'une enfant dans la réalité d'un monde adulte, désenchanté et cynique : " son monde entier a disparu"...et le remplacement du grand écran par la télévision. Elle tisse également des liens sensibles entre l'histoire singulière de naufragés de la vie et l'Histoire d'un pays, le Chili.

Comment décrire le génie esthétique et la perfection technique de la compagnie Teatrocinema? Usant avec pertinence de tous les artifices que peuvent permettre les arts audiovisuels ( travelling, plongée, contre-plongée, effets spéciaux, animation, modélisation 3D, patines ajoutées à la pellicule pour créer des effets de vieillissement : images qui se craquellent, "fils blancs" qui strient l'écran), on reste ébahi par la virtuosité des effets visuels déployés, l'inventivité et la maîtrise de l'image. L'adaptation perspicace du superbe roman de Hernan Rivera Letelier nous permet de jouir d'un texte sublime et la mise en abyme inhérente à cet hommage au septième art est jubilatoire. La direction d'acteurs est à saluer de surcroît : chaque comédien a l'art d'être pertinent autant dans le registre comique que dramatique. Au coeur de cette fusion des arts vivants et du cinéma, Laura Pizarro est une lumière poignante de vérité sur les lèvres de laquelle on reste suspendu.

Comme Maria, la Cie Teatrocinema est "une fée quand elle raconte des films". Elle exprime avec une égale justesse le bonheur comme l'adversité. " La raconteuse de films" est l'histoire de rêves brisés qui s'achèvent dans un cirque misérable. Un conte dans lequel les souvenirs sont les derniers vestiges d'un monde qui s'échappe et où, comme pouvait l'écrire Shakespeare: " la vie est faite de la même matière que les rêves", évanescente et imprévisible, mystérieuse et immaîtrisable.

[bt_quote style="box" width="0" author="La Raconteuse de films, Hernán Rivera Letelier"]Un jour, j’ai lu une phrase ( probablement d’un auteur célèbre) qui disait un truc du genre: « La vie est faite de la même matière que les rêves. Â» Moi je pense que la vie peut parfaitement être faite de la même matière que les films. Raconter un film c’est comme raconter un rêve. Raconter une vie c’est comme raconter un rêve ou un film. Â» [/bt_quote]

La raconteuse de films - Cie Teatrocinema
Spectacle en espagnol, surtitré en français
d'après le roman de Hernán Rivera Letelier, éditions Métailié (2012)


Traduction: Bertille Hausberg / 
Adaptation: Laura Pizarro, Dauno Totoro, Julián Marras, Montserrat Quezada, Zagal


Mise en scène, musique originale : Zagal
 / Direction artistique: Vittorio Meschi


Chansons: Sofía Zagal


Direction artistique multimédia, régie vidéo, assistante à la mise en scène: Montserrat Quezada / 
Direction technique, conception et régie lumière: Luis Alcaide / 
Conception bande son: Héctor Quezada / Régie son: Juan Ignacio Morales


Story board, surtitrage, textures: Vittorio Meschi
 / Conception multimedia: Mirko Petrovich / Modélisation 3D: Max Rosenthal / Animation : Max Rosenthal, Sebastián Pinto


Directeur de la photographie : Jorge Aguilar, Montserrat Quezada
 

Avec Laura Pizarro, Sofia Zagal, Fernando Oviedo, Christian Aguilera, Daniel Gallo

Tournée 2015-2016

- 5 au 8 novembre 2015 Le Manège Mons (Belgique)


- 11 et 12 novembre 2015 Palais des Beaux-Arts de Charleroi (Belgique)


- 14 et 15 novembre 2015 Next Festival La Rose des Vents Scène nationale Lille Métropole Villeneuve d’Ascq (France)

- 
17 et 18 novembre 2015 Scène Nationale de Sète et du Bassin de Thau (France)


- 20 novembre 2015 Le Cratère - Scène Nationale d’Alès (France)

- Les 15 et 16 juillet 2016 au Grec Festival de Barcelone - Teatre Liure
 
Spectacle créé le 23 juillet 2015 au CorpArtes de Santiago du Chili.

Coproduction : Compagnie Teatrocinema (Chili), CorpArtes, Svenska Filminstitutet, Le Manège Mons, Scène Nationale de Sète et du Bassin de Thau, La Rose des Vents – Scène nationale Lille Métropole Villeneuve d’Ascq

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