Génesis 6, 6-7 : l'art de la douleur aux limites de l'admissible
- Écrit par : Victor Waque
Par Victor Waqué - Lagrandeparade.fr/ Lorsqu'on vous propose d'aller voir un spectacle de la fameuse Angélica Liddell, l'invitation est souvent accompagnée d'une mise en garde quant à la nature expérimentale et déconcertante de son travail. Vous voilà prévenu, peut être. Préparé, sûrement pas.
Incisif, ce spectacle accueilli par le centre dramatique national de Montpellier nous emmène dans un univers noir, dominé par la douleur : fidèle à la recherche qui a fait connaître Angélica Liddell. Dramaturge et comédienne espagnol. Le spectacle “Genesis 6, 6-7” s'inscrit dans une trilogie commencée en 2014 avec “You are my destiny”, continuée en 2015 avec “Primera carta de San Pablo a los Corintios”.
“Genesis 6, 6-7” débute par un texte biblique (verset 6, 6-7 de la Genèse) qui annonce la colère de Dieu, décidé à détruire l'humanité. Détruire oui, mais à petit feu.
Pour le spectateur, c'est un sentiment de malaise qui domine. D'une main de maître, nous voilà embarqués malgré nous dans des situations inadmissibles ou considérées comme telles. Une musique assourdissante et apocalyptique suivi d'un silence de mort. Des images désagréables, comme cette vidéo interminable projetée sur un écran géant de la circoncision d'un pénis. Quelques spectateurs quittent la salle au goutte à goutte. Sans surprise, car Angélica Liddell surfe à la limite de l'acceptable. Comme cette femme qui crie de douleur et semble proche de vomir. Le spectateur est désorienté, ballotté par ces explosions de situations étranges et tabous qui nous mènent au plus profond de nous.
Plus tard, tandis que deux femmes, nues, dansent avec sensualité, elles sont rejointes par un homme vêtu de noir, au visage couvert d'un châle, dont le bras droit est amputé au niveau du coude. Celui-ci danse en mettant bien en avant son bras atrophié, alors que les deux nymphes à ces côtés le portent, se collent à lui. “Genesis 6, 6-7” questionne la norme esthétique, et nous dérange.
Le corps est omniprésent, nu. Il danse. Il met en avant son sexe. Surtout, il nous rappelle à tous ce que nous sommes sous l’apparat vestimentaire. Des êtres de chair et de sang, aux seins asymétriques, aux fesses flasques, aux hanches marquées. La souffrance encore une fois, de voir ce corps rempli de défauts dont la vieillesse exacerbe les traits.
On peut se demander l'intérêt d'afficher autant de peine. Peut-être est-ce une réflexion pessimiste sur la vie et sur l'homme, dont la souffrance est le lot quotidien? Reste que ce spectacle, qui mêle danse, théâtre et performance sort des sentiers battus.
Malgré la teneur éprouvante du spectacle, son heure quarante file à toute allure. La mise en scène est remarquable. Captivante, placée dans un décor riche, du cheval à 8 pattes au rideau en mousseline blanc. On retiendra de belles images, à l'instar de ces deux ravissantes femmes enceintes qui dansent en longue robe rose évasée. Images devenant violentes, lorsque ces femmes se frappent le ventre.
L'utilisation du russe, puis de l'espagnol surtitré en français, renforce l’atmosphère hors du réel. Pour autant, il rend la compréhension difficile d'un dialogue philosophique sur Dieu, le corps et l'esprit. Est-ce une façon de nous montrer que chaque langue traduit les mêmes questionnements? Des langues aux sonorités plus appropriées pour ponctuer le sujet?
Si l'on sort étourdi du spectacle, sans être bien certain de savoir ce que l'on vient de vivre, des questions existentielles traversent cette présentation. Angélica Liddell nous conte le processus de l'existence. Naissance, vie, mort. Surtout la mort. Exemple : au bord d'une machine bruyante, la comédienne prend une pâte à pizza et commence à la malaxer. Elle lui donne vie. Ensuite, la pâte traverse sur son tapis roulant une machine à la fonction mystérieuse. Elle continue sa route jusqu'à s'écraser par terre, en bout de course, devant le regard impassible de la comédienne. Dans ce spectacle, on voit défiler sur scène des personnes de tous âges, de l'enfant de 13 ans à la femme de 60 ans. Le vieillissement, une autre souffrance, inhérente à la vie.
Si l'on parvient à dépasser le sentiment de malaise généré par ce spectacle, de nombreuses réflexions fleurissent. Perturbant nos sens, Angelica Liddell nous emmène aux limites de l'admissible. Elle fait le récit exacerbé de la souffrance humaine. A consommer avec modération.
Génesis 6, 6-7
Texte, scénographie, lumières et costumes : Angélica Liddell
Interprètes : Juan Aparicio, Tania Arias Winogradow, Aristides Rontini, Sindo Puche, Angelica Liddell, Yury Ananiev, Sarah Cabello Schoenmakers, Paola Cabello Schoenmakers, Borja López
Lumière : David Benito et Octavio Gomez
Dates et lieux des représentations:
- Du mer. 17/01/18 au jeu. 18/01/18 à humain Trop humain - Montpellier - Tel. +33 (0)4 67 99 25 00