Hollywood Boulevard : En Picardie les stars prennent froid
- Écrit par : Guillaume Chérel
Par Guillaume Chérel - Lagrandeparade.fr/ Cinq personnages, cinq figures légendaires d’Hollywood qui racontent ce qu’a été le mythe : une usine à rêves qui a fait cauchemarder plus d’une star. Ou les coulisses de l’industrie du cinéma : une jeune actrice, Stella Lester, étoile filante et sujet de tous les fantasmes, Sam Murray, le producteur qui l’a fait naître, Lily Lawrence, l’ancienne vedette du muet, tombées des étoiles… et Max von Shadows, le réalisateur qui l’a fixée à jamais sur la pellicule ; comme on épingle un joli papillon (ah ! ces robes vaporeuses). Enfin, Hedda Hopper, la célèbre chroniqueuse et échotière, qui règne sur Hollywood en répandant les ragots.
Hollywood Boulevard : voilà un spectacle qui donne l’eau à la bouche. Un beau théâtre (la Comédie de Picardie, à Amiens), du public (salle comble), de bons acteurs, de jolis costumes, une belle lumière, une thématique fortement chargée de symbolique : Hollywood. Tous les ingrédients semblent en place. Avec des références comme Billy Wilder (qui a inspiré les auteurs), mais aussi Marlène Dietrich, superbement interprétée, Rita Hayworth, Marylin Monroe, Joseph von Sternberg, David O.Selznick, Gloria Swanson. Excusez du peu !
Mais attendez, ce n’est pas fini. Le metteur en scène, Franck Berthier, invoque David Lynch, dans "Mulholland Drive", et John Cassavettes, dans "Opening Night", donc la géniale interprétation de Gena Rowlands (sa femme). Autant dire que c’est du lourd ! Trop lourd peut-être pour de si frêles épaules picardes… Répétons tout de suite que les acteurs sont formidables, les femmes qui jouent ces stars brisées encore plus que les hommes, en retrait, mais très bons aussi, dans leur rôle. Sauf que la mayonnaise ne prend pas vraiment. Ou alors par à-coups. C’est parfois le problème des pièces et textes « inspirés de… ».
Quand des metteurs en scène se croient obligés de réadapter Tchekhov, ou les "Lettres Persanes", de Montesquieu, comme récemment à Paris, il y a intérêt à assurer derrière. Ce n’est pas mauvais, attention, "Hollywood Boulevard", mais inégal inégale, au regard de ce qui est annoncé : vous allez voir ce que vous allez voir !
Revenons à la note d’intention : conjuguant les codes et les techniques du cinéma et du théâtre, Franck Berthier interroge à partir du film "Sunset Boulevard", de Billy Wilder, l’emprise du fantasme, et la perméabilité entre illusion et réalité. Soit. Plateau de théâtre ou plateau de cinéma ? Emprise du présent ou résurgences du passé ? Jouant de multiples mises en abyme, le metteur en scène entend mêler les arts et brouille la frontière entre illusion et réalité. Le problème, c’est que le pari est réussi par bribes. C’est un peu trop statique, déjà. Dès le début, on croirait les comédiens transformés en statues de cire du Musée Grévin. Ça ronronne, on s’assoupit un peu (impression de déjà-vu, entendu, lu et re-relu), puis on se réveille, comme si on avait zappé et ça nous plait, parce que c’est fort, émouvant (notamment la scène du casting, d’actualité, où le producteur demande à la starlette de se déshabiller…), ou lorsque Norma Desmond se retrouve seule, et vieille, devant un téléphone qui ne sonne plus. Les acteurs font le boulot. Ils défendent leurs rôles et leurs ancêtres… Ces chimères sur pattes. Des comètes brûlées par le feu des sunlights. C’est assez logique, finalement, ces baisses de niveau et d’intensité, avec six auteurs et autrices différents.
Du coup, ça manque de rythme, de lien entre les scènes. On ne retrouve que rarement la dimension mélodramatique et grandiose, teintée d’humour noir de Billy Wilder dans "Sunset Boulevard" (1950). Une œuvre culte qui dépeint les dérives et les délires d’Hollywood, à travers la relation entre un scénariste sans le sou et une ancienne star du cinéma muet tombée dans l’oubli, interprétée à l’écran par Gloria Swanson. Une star déchue sous l’emprise de ses obsessions, qui a perdu tout repère et toute mesure, et s’attache les services de l’auteur pour tenter de triompher à nouveau en pleine lumière. Voilà, c’est ça. Ça manque de lumière. L’effet miroir ne fonctionne pas. Ou alors quand elles sont éteintes, ces lumières, des images ressurgissent, plus que des paroles. Des images de cinéma. Des plans fixes. Des photos en fait. Des portraits. Pas très vivant tout ça. Pas assez théâtre. Vivant… Un spectacle qui a besoin de se décanter, comme le bon vin, peut-être.
Hollywood Boulevard
Libre adaptation de Sunset Boulevard de Billy Wilder par Franck Berthier, Francine Bergé, Maric-Christine Letort, Jean-Marie Galey, Magali Genoud, Arben Bajraktaj.
Mise en scène : Franck Berthier
Assistante à la mise en scène : anaïs laforêt
Scénographie : Manuelle Bauduin
Création lumière : Mireille Dutrievoz
Musique, vidéo et univers sonore : Romain Bernardini
Costumes : Aurore Popineau
Construction des décors : Frédéric Couade
AVEC : Francine Bergé, Brontis Jodorovsky, Magali Genoud, Arben Bajraktaraj, Jean-Marie Galey
Production : Dont Acte Coproduction / Comédie de Picardie, Bonlieu Scène Nationale Annecy, Le Carreau Scène Nationale Forbach Soutiens : ville d’Annecy, département de la Haute-Savoie, Région Auvergne-Rhône-Alpes, Drac Auvergne-Rhône-Alpes.
Dates et lieux des représentations:
- Découvert à la Comédie de Picardie le Vendredi 15 décembre 2017 à 20h30 ( 62 Rue des Jacobins, 80000 Amiens - Téléphone : 03 22 22 20 20)
- A l’Espace Saint André à Abbeville le mardi 9 janvier 2018 à 20h30