Cap au pire : quand vient la fin...
- Écrit par : Christian Kazandjian
Par Christian Kazandjian - Lagrandeparade.fr/ Dans "Cap au pire" Samuel Beckett met en bouche l’ensemble des innovations littéraires qu’il a exploré. Denis Lavant réalise, seul en scène, une performance inouïe.
Il convient en premier lieu de saluer la performance de Denis Lavant. Seul en scène, figé dans une attitude hiératique, bras immobiles, 85 minutes durant, il parvient à faire passer un texte d’une incroyable complexité, tout de circonvolutions. Beckett a choisi, avec "Cap au pire" - un de ses derniers textes - le retour à l’anglais ; il ne l’a pas traduit lui-même en français comme il l’a fait pour d’autres : c’est donc Edith Fournier qui s’y est collée. Ce retour vers la langue maternelle, vers la mère ? On devine un homme au crépuscule de son existence, là où les questions sur cette existence même affluent. On voudrait oublier, en « savoir le minimum. Ne rien savoir, non. Ce serait trop beau ». La bouche privée de corps évoque des images, des pas qui s’enchaînent mais ne permettent pas de s’éloigner, les ratés qui se succèdent, en appelant d’autres, car on ne saurait renoncer. Le titre évoque le voyage - ici immobile -, la traversée. L’ultime traversée, celle qui mène au pire, la mort sans aucun doute. On dresse le bilan pour repousser l’échéance. Inutile : le pire est toujours à venir et le silence s’imposera, quoi qu’on fasse.
La scénographie de Christophe Ouvrard, la mise en scène de Jacques Osinski, remarquables de dépuration, enrichissent le texte, l’illuminent pourrait-on dire, atténuant sa complexité. Denis Lavant, de noir vêtu, pieds nus - prêt à entrer au tombeau ? – est en équilibre au-dessus d’un rectangle de lumière (le célèbre et mystérieux couloir qui précède la mort ?). Le visage prend parfois les traits d’un masque mortuaire. Les constellations qui s’éteignent et brillent à nouveau derrière les tentures-linceuls noirs évoquent l’infini. Les mots roulent monocordes, refusant de s’évanouir : puissance de la parole, cette parole que Beckett a sondé, poli une vie durant, de textes théâtraux en romans et essais. A la fin le raté, affirme-t-il. « N’importe, dit la voix. Essayer encore. Rater encore. Rater mieux ». Le résumé d’une existence ? L’entêtement à résister toujours.
Cap au pire
De Samuel Beckett
Mise en scène : Jacques Osinski
Avec Denis Lavant
Durée : 1h30
Dates et lieux des représentations:
- Du 05 Décembre 2017 au 14 Janvier 2018 à 
L’Athénée – Louis Jouvet - PARIS ( Réservations : 01.53.05.19.19. http://www.athenee-theatre.com )