Théâtre : la danse du feu de Carole Zalberg
- Écrit par : Guillaume Chérel
Par Guillaume Chérel - Lagrandeparade.fr/ Carole Zalberg a le vent en poupe. Peu de temps après la parution de son nouveau roman, « Je dansais », paru chez Grasset (Marie, 13 ans, est enlevée et séquestrée : tour à tour, le ravisseur et la victime racontent, lui ce qu’il prend pour de l’amour, elle son acharnement à vivre, résister), un autre de ses textes, « Feu pour feu », est adapté au théâtre de Belleville. Au départ, c’était le récit d’exil d'un père et de sa fille, dont les deux voix disent l’abîme qui les sépare. D’une part, la rage urbaine de la jeune Adama (qui signifie « celle qui est issue de la terre, en hébreu), face au mutisme résigné de son père, lequel voit comme une malédiction la mort arriver par la main de sa fille ; inculpée pour un incendie dans la cité. Ce court roman, publié en 2014 chez Actes Sud, dans la collection « Un endroit où aller », a reçu en 2014 le « Prix littérature monde ».
Carole Zalberg écrit comme un médium qui donne sa voix aux entités qui le hantent. Sur scène, l’actrice Fatima Soualhia-Manet ressemble à une lionne piégée dans une haute cage en fer, ouverte, et en forme de sommier de lit-trône démesuré, vertigineux et fragile car brinquebalant. Pas de matelas mais des plumes qui s’écoulent entre les mailles du filet, tout au long du récit, formant un désert blanc, immaculé, éphémère car les traces sont vites recouvertes sur le plateau. On devine qu’il s’agit d’un migrant, vraisemblablement originaire de l’Afrique subsaharienne, rescapé d’un massacre (son village est en flamme), avec sa fille, nouvellement née.
Il cherchait sa femme sous les cadavres, il trouve donc sa fille qui hurle sa colère. Ils s’enfuient. Errent dans la nuit, jusqu’à finir dans une cité de banlieue (Marseille ?) où d’autres violences les attendent au tournant… « Feu pour feu » retrace l’exil d’un homme et de son bébé, de la Terre Noire au Continent Blanc, dans une démocratie dominée par la loi du marché, dans une société de l’image où l’on assiste à une dégradation spectaculaire de la culture. C’est aussi, et surtout, le saisissant cri d’amour d’un parent pour son enfant, entre deux générations, deux réalités, deux pays diamétralement opposés.
Il n’est pas toujours aisé de s’y retrouver, dans ce monologue de « damné de la terre », entre la partie charnier, guerre, et la cité, d’où nous viennent, en écho, la voix de la fille qui va probablement être condamnée pour incendie volontaire. Cette voix, suraigüe, parfois hystérique, quasi métallique, et qui répond par intermittence au soliloque du père (joué par une femme), est d’une grande force car elle est lancinante, énervante, pour tout dire cauchemardesque. En contraste, elle contredit le témoignage presque placide du père à la barre.
Le texte de Carole Zalberg se singularise par ce système d’écho, quasi polyphonique, qu’elle instaure, impose, grâce à la mise en scène de l’italien Gerardo Maffei, L’auteure a choisi de ne pas donner la priorité à une seule voix, celle du père/mère, mais bien à deux voix, faisant se répondre le discours paternel à celui de sa fille enragée. Si tout est vraisemblable depuis la survie au massacre, jusqu’à l’incendie involontaire de l’immeuble, en passant par le passage dans des centres pour migrants, rien ne permet d’indiquer précisément les lieux de l’action. Feu pour feu tend ainsi vers l’universalité, comme le suggèrent les images vidéos diffusées en fond… d’écran. Il s’agit bien d’un « mauvais » film, ou plutôt d’un film d’horreurs, que l’Humanité nous impose depuis des lustres. Et dont pourtant surgit encore et toujours une note d’espoir, un cri de révolte, un appel à la résistance, plus qu’à la résilience.
« Feu pour feu », de Carole Zalberg
Mise en scène : Gerardo Maffei
Avec Fatima Soualhia-Manet
Assistanat à la mise en scène : Francesca Cominelli
Décors et costumes : Marta Pasquetti et Federica Buffoli
Création lumière : Boris van Overtveldt
Création sonore : Lorenzo Pagliei
Aide à l’écriture gestuelle : Sonia Alcaraz
Vidéo et photographie : Guendalina Flamini
production théâtre de belleville – avec le soutien de lilas en scène
durée : 1H15
- Jusqu'au 9 juillet 2017 au Théâtre de Belleville - 94 rue du Faubourg du Temple 75011 Paris
Métro Goncourt (L11) ou Belleville (L2 ou 11) – Bus 46 ou 75
www.theatredebelleville.com
Réservations 01 48 06 72 34 l
Tarif plein 25€ l Tarif réduit 15€ l Tarif jeune 10€
Tarif abonné 10€