Oncle Vania ou le concentré de l’univers Tchekhovien par Philippe Nicaud
- Écrit par : Guillaume Chérel
Par Guillaume Chérel - Lagrandeparade.fr/ Oncle Vania, centré sur cinq personnages, est considéré comme le chef-d’œuvre de Tchekhov et il fut maintes fois mis en scène. La version proposée à l’Essaïon fut le coup de cœur du Club de la presse du dernier Festival d’Avignon Off 2016. La salle étant petite, l’ambiance est tout de suite étouffante. Tout se passe devant nous, au moment même où le public s’installe pour s’asseoir : les déplacements comme les sentiments, dans la cuisine, le carrefour central de cette immense datcha de la campagne russe (cadre très habituel des pièces de Tchékhov), où vivotent depuis des années Vania, frère de Vera, la première femme défunte du professeur Serebriakov, Sonia, sa nièce, fille de Vera et du professeur, ainsi que Maria Vassilievna, la mère de Vera et de Vania. Il y a aussi et surtout les visites répétées du médecin Astrov, qui est amoureux de la femme du professeur, toujours à se plaindre d’être malade, dans son bureau, au milieu des livres et des feuilles au sol.
Il fait une chaleur infernale. Tout ça est malsain. L’étau se resserre. L’orage va éclater. Serebriakov, par lassitude de la ville et peut-être des ennuis d’argent, est revenu vivre à la datcha où il se conduit comme le propriétaire (qu’il n’est pas, on l’apprendra bien assez tôt) ; mais il n’est pas revenu seul : Elena l’accompagne, sa seconde femme, plus jeune, qui est de Saint-Petersbourg où elle a « fait le conservatoire de musique ». Elle s’ennuie, elle étouffe. Ne veut rien faire. Sonia et son oncle Vania (le fameux !) s’occupent depuis des années du domaine familial. Quand le père annonce sa décision de le vendre, les nœuds des relations humaines se dénouent au sein de la petite communauté qui y est réunie.
« Je me suis mis à trembler devant votre talent, et à trembler de peur pour les gens, pour notre vie, misérable, incolore. Quel drôle de coup – et comme il est précis – vous avez frappé là », lui écrit Gorki. Avec Oncle Vania, Tchekhov crée une « forme absolument nouvelle dans l’art dramatique ». On reprocha à l’auteur d’être trop près de la vie quotidienne, on est aujourd’hui impressionné par l’ampleur du mouvement de l’âme qu’il déploie. Tchekhov a 36 ans lorsqu’il écrit cette pièce en quatre actes, sans découpage de scènes. Une matière idéale pour un « théâtre du réel », en prise avec le présent.
Vania crève de ne pas avoir vécu et le docteur espère conquérir l’impossible, avant de se réfugier dans la nature. Alors on boit, on danse, on chante, on rit, on pleure à n’en plus finir. Bon évidemment il faut apprécier l’âme russe et ses tourments incessants. La mise en scène de Philippe Nicaud, qui joue le rôle du Dr. Astrov, est efficace et accessible. Ce dernier est le rayon de soleil humoristique de ce huis-clos chaotique. Céline Spang est parfaite en Elena, beauté fataliste. Fabrice Merlo touchant en oncle Vania accablé par le destin. Bernard Starck exaspérant à souhait en vieillard geignard et de mauvaise foi. Et la plus jeune, Marie Hasse (Sonia), pétrie de bonté et de manque d’amour, nous émeut par sa sensibilité palpable jusqu’au moment de saluer le public. Les acteurs ne jouent pas, ils sont les personnages, proche du public, qui assiste en direct à la fulgurance des sentiments et au besoin irrépressible de liberté qui est en chacun d’entre nous. Oui, ce "Vania" incarne une tragi-comédie éternellement moderne comme il s’en joue depuis des lustres dans chaque famille...
Oncle Vania
Auteur : Anton Tchekhov
Mise en scène : Philippe Nicaud
Distribution : Marie Hasse, Céline Spang, Fabrice Merlo, Philippe Nicaud, Bernard Stark
- Jusqu’au 19 mars 2017 au Théâtre Essaïon ( 6, rue Pierre au Lard. 75004 Paris. Métro Hôtel de ville) ; les jeudis à 19 h 30 et les dimanches à 18 h. Résa : 01 42 78 46 42
- Du 5 octobre 2017 au 11 janvier 2018 tous les jeudis à 19h20 à l'Essaion (75004)
Durée : 1h25
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