Place Dauphine : un récit de vie de deux virgules extraites à la vie et d’un point d’exclamation léger et subtil
- Écrit par : Philippe Delhumeau
Par Philippe Delhumeau - Lagrandeparade.fr/ Vendredi 4 novembre 2016. Première de Place Dauphine au Guichet-Montparnasse, la nouvelle création de l’auteure et metteure en scène, Mélanie Rodrigues. A l’interprétation, trois beaux artistes. Damien Jouillerot d'abord: rappelez-vous au cinéma, Martin dans "Monsieur Batignolle" avec Gérard Jugnot ou encore Daniel, le fils de Geneviève, Carole Bouquet et Pierre Massu, Olivier Gourmet dans "Les Fautes d’orthographe". Rôle pour lequel il obtînt le Prix Lumières du meilleur espoir masculin. Le p’tit Damien a bien grandi et si le talent n’attend pas le nombre des années, cet artiste n’en finit pas de surprendre à chacune de ses interventions tant au cinéma, qu’à la télé et au théâtre. Kenny Douala, ensuite, cascadeur de formation, est remarqué pour son rôle aux côtés de Patrick Chesnais dans "Bleu Catacombes", téléfilm policier de Charlotte Brandstrom diffusé sur France 2 en 2014. En 2016, Kenny Douala est à l’affiche au cinéma dans "La Fille de Brest" d’Emmanuelle Bercot et dans "Mes Trésors" de Pascal Bourdiaux. Adeline Riffault-Guyot, enfin, athlète de haut niveau en danse et gymnastique rythmique, possède une garde-robe artistique éclectique, maquilleuse, costumière, couturière, mannequin, modèle et comédienne.
Erwan et Romain, deux hommes qu’un dramatique accident de la vie a réunis dans la salle des soins intensifs d’un hôpital. Plongés dans le coma, ils échangent par le jeu de leur subconscient respectif le propos en coups de gueule ou sympathie distanciée.
L’histoire d’Erwan et Romain est somme toute ordinaire. Un suicide manqué au gaz dans un immeuble un jour de 15 août, un corps presqu’anonyme de la déflagration est évacué par les secours au même titre que l’auteur des faits. L’un et l’autre sont les victimes collatérales du mal-être qui gangrène les grandes métropoles. Les gens des villes ne sont pas comme les rats des champs qui usent de mille stratagèmes pour vivre à l’inverse des hommes qui survivent. Le malaise social est une plaie béante ouverte sur l’individualisme, le désintéressement de l’autre, l’incompréhension, le manque d’attention. Une constatation qui croît d’année en année selon les informations révélées, après enquête, par les instituts de sondage. Les politiques jouent aux aveugles, ils n’ont pour guide qu’une canne blanche tenue par une main « amie » qui les avertit de ne pas traverser au feu vert. Tous les jours, des hommes, des femmes et des enfants sont confrontés à la solitude chez eux comme à l’extérieur. Le commun des vivants peine à communiquer de vive voix pour exprimer des riens comme des tous car les outils digitaux ont pris le relais. Sur les réseaux sociaux, les gens se vantent d’avoir quantité d’amis… virtuels ! Qu’en est-il dans la vraie vie ? Qui prend le temps de… ? Qui aide son voisin à… ? Qui tend la main à… pour… ? Des questions limitées par des points de suspension, des réponses suspendues dans le flou car rares les gens qui prennent le temps de…, d’aider son voisin à…, de tendre la main à… pour…
L’écriture de "Place Dauphine", le pathos social oscille entre désespoir et espoir, huis-clos et lumière. Le fil d’Ariane de Mélanie Rodrigues prend pour appui l’homme de la rue. Le poumon des inspirations de l’auteur éponyme, des souffles de vie dont elle entend le rythme saccadé des respirations et qu’elle traduit avec les mots qui lui appartiennent dans des textes intenses et magnifiés d’humanité. Si le monde est souffrance, Mélanie Rodrigues tend sa plume aux joies les plus simples soient-elles. Si l’homme est triste, elle trouve les mots qui prêtent à rire pour lui redonner le gout de sourire. Ainsi est le style de l’auteure, décalé mais juste, contemporain mais poétique.
Sur scène, Damien Jouillerot et Kenny Douala s’approprient l’isolement comme un espace de vie dans lequel ils sont pris au piège d’un jeu qu’ils ne maitrisent pas. Sont-ils encore maîtres d’eux-mêmes et de leur destin? Pourquoi se retrouvent-ils enfermés dans l’étouffement d’une pièce sans ouverture sur la lumière extérieure? Des points d’interrogation ponctués sur l’inexistence, des guillemets ouverts sur des incertitudes, des points d’exclamation dressés sur un humour percutant, des virgules esquissées entre deux états d’âme bouleversés par les apparitions fantômatiques d’Adeline Riffault-Guyot. Une présence étrange et agréable à découvrir dans "Place Dauphine".
La mise en scène de Mélanie Rodrigues est touchante de sincérité car le regard posé sur la condition humaine est le fruit d’une longue préparation réfléchie, mûrie et travaillée avec trois comédiens impliqués et généreux dans leur jeu respectif et collectif.
Place Dauphine, une nouvelle belle et intense création de Mélanie Rodrigues.
Place Dauphine
Une pièce écrite et mise en scène par Mélanie Rodrigues
Avec Adeline Riffault-Guyot, Damien Jouillerot et Kenny Douala.
- Du 4 novembre 2016 au 8 janvier 2017 au Théâtre le Guichet Montparnasse ( 15 rue du Maine, 75014 Paris)
Les vendredis et samedis à 20h30 et les dimanches à 16h30 - Relâches les 24, 25, 31 décembre 2016 et 1er janvier 2017