Bosque Ardora : un flamenco synesthétique aux effluves primitives entêtantes
- Écrit par : Julie Cadilhac
Par Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ C'est Aurore aux doigts de rose qui nous berce en son sein, à l'ouverture, dans une vidéo où le spectateur perçoit avec acuité la puissance de la nature...le miroitement et les ridules de l'eau hypnotisent, les reflets du soleil sur l'eau aveuglent, le vent frémit et bruisse dans les branches des arbres, des vagues vives frétillent en clapotis, le courant gronde en se heurtant aux roches...Un hommage au mélodieux vacarme de Gaia résonne...puis l'image suit la foulée vive de chiens enivrés de course folle (et de curée en perspective?). Un galop où le temps suspend son vol...jusqu'à la chute.
L'écran s'efface et le plateau s'éveille alors sur un décor superbe où dominent des arbres suspendus les racines en l'air. Une forêt mystérieuse et féerique encadre une créature, femme-loup, à apprivoiser lors de cette fable sylvestre superbe. Tantôt agressive et dominatrice, tantôt câline et soumise, elle flotte, elle hésite...en un mot, elle est animale. Elle est entourée de musiciens, d'un chanteur et deux danseurs avec lesquels la complicité est tangible. Dans "Bosque Ardora", Rocío Molina interprète une parade sauvage d'une beauté à couper le souffle. Corps tendus, torses bombés, mouvements saccadés, les danseurs s'évaluent, s'animalisent d'abord dans une ambiance sonore naturaliste. Puis le flamenco s'improvise en parade amoureuse à la sensualité jazzy. Complices, la guitare et la voix donnent soudain à cette célébration de la nature un parenthèse de fête ibérique. On bascule plus loin vers des minutes rieuses et joueuses plus swing. Chorégraphe et danseuse de flamenco iconoclaste, Rocío Molina mêle les influences et les styles avec un art aussi singulier que pertinent. La tradition du flamenco s'y réinvente et même s'y sublime...et conquiert l'assentiment de ceux qui n'adhèrent pas au style classique. Le spectateur se trouve en outre face à une performance physique époustouflante : chaque muscle semble sollicité et tout le corps en tension exulte. Si le flamenco s'articule souvent, même en duo, par une singularité des mouvements ; ici l'on découvre des ensembles grandioses.
La beauté des corps masculins virilise le plateau tandis que la danseuse, dans sa robe sylphide, électrise de sa présence et se métamorphose au cours de cette fable chorégraphique. Semble rajeunir jusqu'à renaître. Les émotions fleurissent sans cesse sur les planches et reflètent la complexité attirante du vivant. Parfois belliqueux, et s'improvise alors une sorte de Haka à la Molina. Hommes brutes à la mâchoire plastique. Cheveux de femme maintenus avec poigne. Regards chasseurs. Parfois rêveur et amoureux, l'un a une fleur aux lèvres, l'autre croque dans le fruit ( défendu?)...pour une version de l'Eden originel. On sort de ce spectacle assurément nourri d'images poétiques. Des trompes de cuivre qui réveillent des endormis au creux de la rosée à la femme aux jambes-araignée.
"Bosque Ardora" dessine des êtres hybrides qui s'ébattent, offre des tableaux chorégraphiques divins du vivant. L'exultation du mouvement y est jubilatoire.
Talons qui martèlent le sol. Mains qui giflent le corps. Doigts qui claquent. Toujours une mèche de cheveux entre les dents. Rocío Molina trône en reine magnifique dans ce règne animal, malgré la civilisation qui menace....
Bosque Ardora - Création 2015
Chorégraphie, direction artistique et musicale
: Rocío Molina
Dramaturgie, direction artistique et scénario de la vidéo d’ouverture :
Mateo Feijoo
Direction musicale, composition et arrangements pour le chant
: Rosario « la Tremendita »
Musique originale et arrangements pour trombones
: Eduardo Trassierra
Composition originale de la pièce
Mandato pour trombones
: Dorantes
Composition pour trombones :
Pablo Martín Caminero
Conception lumière :
Carlos Marquerie
Conception espace sonore
: Pablo Martín Jones
Paroles :
Maite Dono
Avec danseurs :
Rocío Molina,
Eduardo Guerrero,
Fernando Jiménez
Musiciens: Eduardo Trassierra (
guitare ), José Ángel Carmona
( chant et basse électrique ), José Manuel Ramos « Oruco »
(palmas et compás), Pablo Martín Jones
( batterie et live electronics), José Vicente Ortega
Agustín Orozco (
trombone)
Durée : 1h15
Dates des prochaines représentations :
- Le 24 mai 2016 à la Scène Nationale de Sète et du Bassin de Thau ( 34)
- Les 3 et 4 novembre 2017 - Stanislavsky Music Theater, Moscú, Russie.
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