Nomades : voyage vers un ailleurs qui n’appartient à personne
- Écrit par : Philippe Delhumeau
Par Philippe Delhumeau - Lagrandeparade.fr/ L’ethnoballet de Dana Mussa investit le Théâtre de Verre, lieu d’influence articulé avec et autour des cultures du monde. Dans ce quartier niché sur les hauteurs du 19ème arrondissement parisien, se côtoient, se croisent, se rencontrent des gens parlant des langues aux accents méditerranéens, orientaux. Place des Fêtes, place des mixités, place des immigrés, place des réfugiés. Un coin populaire de Paris qui repousse les frontières, rapproche les Blacks, les Beurs et les autres. A deux pas, une inscription peinte en blanc sur un immeuble désaffecté « Welcome refugees ».
Un cri calligraphié en lettres latines destiné à tous les exilés qui ont trouvé un havre de paix, aussi éphémère soit-il. Un lieu où Alléluia se chante en français, en arabe, en hébreu. Que la paix du monde soit avec eux et leur famille ! Eux, ces hommes, ces femmes, ces enfants qui fuient des territoires où la terre est déchirée jusque dans ses entrailles par les bombes. Que reste-t-il pour survivre quand les restes de la vie sont réduits au néant, à la peur, à la souffrance, aux blessures. Une envie, partir pour résister à la mort, s’exiler pour rouvrir les yeux, franchir des mers jusqu’à une côte promise.
Peuples du monde, fuyez ce qui fut votre histoire pour la reconstruire ailleurs. Gens de la Terre, aidons-les à retrouver l’humilité d’être nés pour vivre dignement.
Nomades, une chorégraphie à l’échelle humaine de Dana Mussa interprétée par onze danseuses. Soudé au présent à cause des souffrances du passé, un peuple venu de nulle part ressurgit dans ce ballet où l’esthétique du mouvement s’accorde aux déplacements.
La scénographie épurée se mesure à l’importance portée à la création lumières de Laurent Vérité. La profondeur de l’espace permet aux danseuses d’évoluer dans une structure brute de béton où la lumière ne s’accroche pas aux parois. Il se crée un paradoxe entre l’obscurité à claire-voie et la vidéo projection de Laurent Vérité. Le mur du fond est happé par des apparences extraites à la nature, telles des herbes folles et sauvages traversées par les nomades. Le vent s’engouffre dans le va-et-vient incessant de ces femmes qui avancent sans savoir où le destin les conduira.
Voix et chants d’Outre-tombe prennent possession du temps suspendu aux ténèbres. Ils montent en intensité au fur et à mesure de l’avancée des nomades qui bravent la rigueur et les dangers de l’errance. La fluidité et la rapidité des cadences semblent guidées par l’imprécision d’un destin non maitrisé, d’un territoire encore loin à atteindre.
L’intonation des chants exprime la violence, les femmes en ressentent de l’effroi. L’apparition d’une femme vêtue de blanc s’apparente à un appel d’air vers lequel les nomades sont attirés. Qui est-elle ? A genoux, les bras levés, elles invoquent une force divine dans un silence de cathédrale. Les corps se désarticulent dans une ronde où chacun trouve sa place, la perd, se détache de l’ensemble, se fige ci et là pour prier et oublier la condition du présent. L’apparition de la femme en blanc sème le trouble dans le mouvement collectif. Les souffles se libèrent légers ou se contraignent dans une emprise pesante. La chorégraphie devient métaphysique et alchimie jusqu’à l’entrée en scène des statues, lesquelles paraissent avoir été sculptées dans le sel.
Le travail de Dana Mussa est en tout point remarquable car il associe l’exigence, la spiritualité, la philosophie, l’histoire, la nature, l’envie d’errer jusqu’au bout de la route. Mais après ? Les danseuses rentrent de corps dans les âmes en errance de la tribu qui avance à pas mesurés, recule pour mieux aller de l’avant, s’arrête pour respirer la nature. Elles incarnent l’actualité avec une énergie qui fait leur force et leur solidarité.
Nomades, premier volet d’une trilogie, est une magnifique ode à la vie, un conte contemporain.
Nomades
Chorégraphe : Dana Mussa
Danseuses : Nadia Leury, Fanny Manchete, Natalia Leybina, Julia Palii, Coralie Calfond, Manon Le Mogne, Valérie Favret, Katia Pierson, A Jung Lim, Typhaine Jousset, Dana Mussa.
Création Lumières / Vidéo projection : Laurent Vérité
Musique : Henryk Goreckii
Dates et lieux des représentations:
- Le Mardi 19 juin 2018 à 20h00 au Théâtre de Verre - Paris