Didier Graffet : des balades graphiques aux effluves vertigineuses
- Écrit par : Julie Cadilhac
Par Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr / Didier Graffet est illustrateur et dessinateur. Il a reçu en 2002 le prix Art&Fact et le prix du public Visions du Futur et, en 2003, le Grand Prix de l'Imaginaire pour ses illustrations de 20000 lieues sous les mers de Jules Verne aux Editions Gründ. Ses illustrations sont d'une beauté rare : son talent associe en effet une précision du trait digne d'un orfèvre, une palette de couleurs sublime, des sujets enthousiasmants. Jusqu'au vertige, l'oeil peut se promener dans ses toiles qui abondent de détails, de plans et la présence redondante de bateaux à voile et à vapeur ou de trains suscitent des picotements délicieux d'envie de partir en voyage. Chaque dessin est une porte vers un nouveau monde dans lequel passé et présent se fondent pour offrir un feu d'artifice esthétique.
En décembre 2012 et janvier 2013 , il avait exposé à la galerie Daniel Maghen une série de peintures réalisées sur le thème du fantastique et XIXème siècle intitulée "De vapeur et d'acier". La Galerie Daniel Maghen propose quatre ans plus tard une nouvelle occasion de plonger dans l’univers de Didier Graffet dans une exposition nommée Effluvium. Ce nom rend hommage à l’Ère du flux aérien, un thème de prédilection de l’artiste et du steampunk, un courant littéraire dont les intrigues se déroulent dans un XIXème siècle dominé par la première révolution industrielle du charbon et de la vapeur. Didier Graffet a puisé son inspiration dans de nombreux domaines dont Jules Verne, la mythologie grecque mais aussi l’Histoire...Nous l'avions rencontré en 2013 à l'occasion de son exposition "De vapeur et d'acier". De la fantasy et des mythes celtiques et nordiques d'alors à l'univers steampunk d'aujourd'hui, un fil d'ariane indéfectible : son admiration pour l'auteur de 20000 lieues sous les mers et des compositions admirables de vaisseaux rétro-futuristes dont les immenses voiles propulsent immédiatement le spectateur dans des promesses de voyages exaltants !
Quel goût a eu votre enfance ? salé? doux? rêveur? déjà inspiré?

J’ai eu une enfance relativement heureuse, une famille attachée aux valeurs importantes, au goût du travail et l’écoute des autres. Mes racines sont terriennes, les gens y ont des valeurs simples, mais vraies. Par delà le côté dur à la tâche, une certaine poésie s’en dégage, une idée des chose simples qui suffisent au bonheur. Une enfance bien ancrée dans la terre, mais où le rêve est toujours présent.
Vos racines normandes vous ont-elles naturellement dirigé vers un univers pictural empreint de légendes et de voyages en mer?

Il est vrai que le paysage du Pays d’Auge m’a influencé énormément dès mon plus jeune âge. Des collines vertes vallonnées, des petits sentiers qui descendent vers une rivière, avec des frondaisons en forme d’arches de noisetiers pliés, des souches aux formes tortueuses, le son de quelque oiseau apeuré qui s’envole. C’est un sentiment qui peut paraître naïf, mais la poésie est là , on se sent comme le découvreur de contrées lointaines, surtout lorsque l’on est enfant. Un paysage digne de la terre du milieu de Tolkien. A ce propos, j’ai eu l’occasion de me rendre dans le Devon , dans le village ou habite Alan Lee (un illustrateur important du Seigneur des Anneaux), j’ai ressenti la même chose, cette proximité avec l’environnement ; je sais ,sans le connaître personnellement ,ce qu’il éprouve face à ces paysages .Cet émerveillement se retrouve dans son travail. Et puis il y a la Bretagne Nord et Sud, Les Côtes d’Armor et le Morbihan, qui m’ont offert des sensations différentes. Le Nord avec les rochers fabuleux aux formes fantastiques, leurs grottes et les landes qui les relient, avec leur odeur de fougère ; le Sud, moins tourmenté, au paysage plus calme mais tout aussi propice à la contemplation, avec toujours la ligne d’horizon dessinée par l’océan.
Qu'est-ce qui vous séduit particulièrement dans les mythes nordiques et celtiques?

Il y a dans les mythes et la mythologie un aspect profondément humain car écrit par les hommes. On y découvre beaucoup d’interrogations humaines, et une sorte de réponse selon les civilisations. Ces réponses se recoupent souvent, des thèmes semblables y sont abordés… Dans les mythes Nordiques et Celtiques, l’homme est étroitement lié à son environnement, assez rude, c’est ce qui me plaît. Quand on voit ces paysages, comme en Ecosse, on comprend comment et pourquoi sont nées de telles légendes.
Y avait-il un grand-père, un oncle... pour exalter le petit garçon par des récits enthousiasmants? ou un ancêtre pêcheur? 

Il y a eu dans ma famille des deux côtés de mes parents des personnes assez extravagantes, notamment un oncle qui était marin et qui était mélomane. Il était toujours fauché mais se débrouillait toujours pour aller à l’opéra ; malheureusement je n’ai pas eu la chance de le connaître. Il avait aussi fabriqué tout un réseau ferroviaire dans son garage, le tout entièrement réalisé par lui même. Un de mes deux grands-pères m’a énormément marqué, mais il a disparu trop tôt. Un autre de mes oncles était facteur de Uilleann pipe (une sorte de cornemuse) et était très connu dans ce milieu : il s’appelait Alain Froment. Ma mère m’a donné le goût de la peinture et du dessin, elle-même est peintre en décors. Au final, je crois que chacun d’eux m’a laissé un petit quelque chose. C’est aussi bénéfique et important pour moi de le savoir, cela m’inscrit dans une certaine continuité.
La mer et ses bateaux ballottés vous séduisent …pour le potentiel d'aventure qu'ils représentent ?

Oui, la promesse du voyage, d’aventure, et aussi parce qu’un navire c’est beau.
 

Quelle est la partie d'un bateau qui vous fascine le plus? 

Les voiles sans doute…
La beauté et le danger inextricablement liés, est-ce le secret de votre peinture?

Oui, cela va de pair avec les couleurs employées. Plus sombres pour suggérer le danger et le mystère, plus lumineuses pour apporter une sorte d’espoir dans ce milieu oppressant, une fenêtre ouverte sur quelque chose d’autre. L’un ne va pas sans l’autre, à moi de doser ces deux aspects pour raconter l’histoire.
J’aime les contre-jours, même s’il y a peu de lumière, elle garde toute sa force et souligne parfois encore mieux ce qui est au premier plan. Une image doit rester mystérieuse, je ne fais que donner des pistes, à la personne qui la regarde de l’interpréter…
 

Quel auteur et/ou peintre vous ont d'abord donné le goût de la fantasy?

Il y en a beaucoup ! j’aime les peintres « classiques », Vermer, Klimt, Turner, et bien d’autres …Il y a une dimension fantastique par l’ambiance de leur toile. Lorsque j’étais ado, j’aimais Frazetta, Sanjulian entre autres. J’ai été énormément influencé par Druillet, j’aime son côté artiste touche à tout, dessin, peinture, mobilier. J’ai eu la chance de pouvoir lui dire combien son travail m’avait fasciné.
Quels sont les ingrédients indispensables d'un dessin de fantasy selon vous?

Qu’il ne montre pas tout et fasse la part belle au mystère et au rêve, qu’il stimule l’imagination de chacun.
Qu’il y ait toujours dans l’image une fenêtre ouverte sur un potentiel autre monde, que l’image ne soit pas « arrêtée », définitive, mais qu’elle ouvre d’autres possibles. Mon travail, outre son aspect technique, est surtout d’interpeller, de laisser au « spectateur » sa propre interprétation, qu’il y retrouve des sensations ou des éléments très personnels. Le mystère n’est jamais loin, il suffit de peu de chose pour rendre l’ordinaire extraordinaire, c’est le regard que l’on porte dessus qui compte. A moi de le suggérer dans mes images. Je pars toujours de mon vécu et de mon ressenti, car je crois que c’est la bonne solution, ce côté très personnel et inconscient. Rien ne me fait plus plaisir que lorsque quelqu’un me dit que mes images sont différentes, qu’elles le touchent, mais qu’il ne sait pas pourquoi !

Ce goût pour la tempête et les ciels obscurcis, est-ce parce qu'il nécessite une palette de couleurs qui vous convient à la perfection? parce qu'on n’imagine pas l'héroïsme sous le soleil?

J’ai toujours aimé regarder les ciels, je les prends en photo souvent, ça me fascine. Ils sont à mon sens le reflet de nos personnalités. Pourquoi je n’en sais rien, peut-être ce côté démesuré qui nous surplombe, cette lumière quasi divine par moments, je ne suis pas mystique, mais c’est beau ! J’ai vu une expo Turner à l’âge de neuf ans au Grand Palais, ça m’a terriblement impressionné… J’aime les ciels de tempête pour leur aspect mystérieux, incontrôlable, et surtout leur lumière en contre-jour. Le paysage et le ciel sont des acteurs à part entière de l’image. L’idée est d’aller dans le sens de l’histoire, que tous les éléments qui la composent soient cohérents les uns par rapport aux autres, chaque détail a son importance, et le ciel en fait partie. Imaginez Conan le Barbare combattant sous un ciel bleu, on ne serait pas vraiment dans l’ambiance !… alors je suis un grand tourmenté !
Peintre du voyage, êtes-vous vous-même un grand voyageur?

J’aime voyager, j’ai la chance d’avoir pu le faire grâce à mon travail, aux Etats-Unis, en Angleterre, mais ma destination favorite est sans aucun doute l’Ecosse… comme par hasard les ciels y sont magnifiques, et le mystère toujours présent !
Quel serait votre plus beau voyage?

Ca fait des années que je ne suis pas retourné en Ecosse. J’aimerais y retourner avec toute ma famille, mes enfants, pour qu’ils ressentent ce que j’aime tant.
Vous avez illustré de nombreux textes de Jules Verne : si vous deviez citer un passage qui vous fascine particulièrement , lequel serait-ce? 

Un passage extrait de 20 000 Lieues sous les mers, le moment ou le Nautilus passe au dessus des ruines du Temple d’Hercule en méditerranée. Une anecdote assez troublante me fait particulièrement aimer ce passage. J’avais décidé de représenter les célèbres colonnes de ce temple, lorsqu’à la radio, à ma grande surprise, une émission en parlait. Drôle de coïncidence. Ce qui n’est pas dans le texte, mais ce que j’ai entendu c’est « Nihil Ultra », « Rien au delà » une inscription qui devait être gravée sur ces colonnes… J’ai donc ajouté cette maxime à l’illustration.
Et si vous nous racontiez votre rencontre avec l'auteur de 20 000 lieues sous les mers…

Elle s’est faite par le cinéma, avec 20 000 lieues sous les mers de Disney. Je suis allé le voir avec ma grand-mère vers l’âge de 10 ans, ça m’avait impressionné. C’est, comme beaucoup, mon roman préféré de Jules Verne. J’avais toujours l’envie de l’illustrer, je l’ai soumis aux Editions Gründ qui étaient enthousiastes. 
J’aurais aimé rencontrer Jules Verne, sans doute parlerions-nous de voyages imaginés, de mondes inexplorés et des techniques scientifiques qui permettent à l’homme de réaliser ses rêves. C’était une autre époque, où la science promettait de belles découvertes.
Qu'est-ce que vous aimez particulièrement dans son écriture?

Plus le fond que la forme, ce mélange d’enthousiasme et de foi en l’avenir, ce qui nous manque cruellement aujourd’hui…
Des bateaux, des pirates, des explorateurs etc…êtes-vous nostalgique d'une époque où le temps roulait moins vite et se conformait à celui des flots marins?

Oui, je suis effectivement nostalgique d’une époque que j’ai à peine connue, où l’on prenait le temps pour faire les choses sans précipitation , où l’on prenait le temps de regarder ce qui nous entoure. Il n’y a rien de pire qu’un samedi dans un grand magasin, ou de crouler sous une avalanche de mails…
Effluvium
- Du 2 au 6 novembre 2016 à l’Espace Commines (17 Rue Commines, 75003 Paris ) , puis du 9 au 26 novembre 2016 à la galerie Daniel Maghen ( 47 Quai des Grands Augustins, 75006 Paris)