« Pop Forever, Tom Wesselmann &… » : le top du pop
- Écrit par : Serge Bressan
Par Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / En 1980 dans une biographie consacrée au peintre américain Tom Wesselmann (1931-2004), Slim Stealingworth soulevait la question essentielle : qu’est la réalité dans ce que Wesselmann appelle la « super-reality » ? Peu après, on apprit que ledit Stealingworth était en fait le peintre lui-même : il avait écrit sa bio, se considérant sous-estimé par le monde de l’art. il écrivait : « Plusieurs critiques ont dit de Tom Wesselmann qu’il était le peintre le plus sous-estimé de la génération du Pop Art américain qui a révolutionné le milieu de l’art américain dans les années 1960 ». Il acceptait mal que critiques, galeristes et marchands d’art n’en avaient que pour Andy Warhol et Roy Lichtenstein, tenus abusivement comme les maîtres fondateurs du Pop Art, ce mouvement artistique apparu aux Etats-Unis dans les années 1950.
Cette sous-cote a longuement poursuivi Tom Wesselmann- ainsi, il eut droit à une première rétrospective au musée des Beaux-Arts de Montréal en… 2012. Et, pour la première fois en Europe ces automne-hiver 2024-2025, on peut admirer pas moins de cent cinquante de ses œuvres dans et sur les murs de la Fondation Louis Vuitton à Paris- jusqu’alors, en France, seuls deux musées (Saint-Etienne et Grenoble) présentaient au public, chacun, un tableau du peintre américain. Donc, l’exposition parisienne titrée « Pop Forever, Tom Wesselmann &… » prend la dimension d’un événement- toutefois, on se doit de préciser que Wesselmann n’est pas seul à la Fondation Louis Vuitton puisque soixante-dix œuvres de trente-cinq autres artistes représentant du Pop Art d’hier et d’aujourd’hui sont exposées.
Commissaire de l’exposition parisienne avec Anna Karia Hofbauer, Dieter Buchhart commente : « Tout a commencé il y a huit ans. Nous travaillions depuis longtemps déjà autour de Roy Lichtenstein, Robert Rauschenberg, Jasper Johns…, mais l’intérêt suscité par Tom Wesselmann chez les jeunes artistes nous fascinait. D’autant qu’à l’époque, l’impression 3D faisait son apparition. Une technologie qu’annonçaient déjà ses « Steel Drawings », découpés au laser. En 1985, l’achat d’une de ces pièces par le Whitney Museum avait suscité une vive controverse parmi les conservateurs, incapables de la définir ». Sa collègue ajoute : « Étudier le pop art sous cet angle nous semblait intéressant précisément parce que Wesselmann n’était pas le choix le plus évident ».
Né le 23 février 1931 à Cincinnati (Ohio), Tom Wesselmann a découvert le dessin durant ses deux années à l’armée. Alors, le dessin, il le considérait que comme humoristique. Retour dans sa ville natale, il reprend ses études, suit en 1954 les cours à l’Art Academy, puis en 1956, file à New York où il s’inscrit à la Cooper Union for the Advancement of Science and Art. a la même époque, il visite le MoMA et est impressionné par les œuvres de Robert Motherwell (1915-1991) et Willem de Kooning (1904-1997). En 1957, il rencontre Claire Selley, également étudiante à la Cooper Union- elle devient son modèle et sa muse, ils se marieront et auront trois enfants. En 1959, il quitte la Cooper Union et, immédiatement, s’éloigne du courant artistique de l’abstraction qui, alors, est la règle. Consacre son activité à ce qu’il tient pour la base de la peinture : les nus, les natures mortes, les intérieurs, les portraits,… et ne manque pas d’évoquer Matisse, son influence majeure, tout en cherchant à se défaire de celle très forte de Willem de Kooning. Ainsi, il accédera à une belle notoriété avec des séries comme « Great American Nudes » et « Still Lifes ». Sa « marque de fabrique » : le collage et les juxtapositions- ne craignant pas d’intégrer au sein d’un tableau des objets (téléviseur, radiateur, sèche-serviettes, lunette de W.C.,…) ou d’emprunter des temps forts de l’histoire.
Top du pop, il assure être en marge du mouvement dominé dans les années 1950-1960 par Andy Warhol et sa Factory ou encore Roy Lichtenstein et Robert Rauschenberg- commentaire d’Anna Karina Hofbauer : « Il est pourtant une figure clé de ce mouvement dont il partage le goût des couleurs criardes, les emprunts à l’imagerie populaire, le choix de matériaux industriels… » Et d’ajouter : « Wesselmann sortait peu. C’était un père de famille pour qui l’art était un travail à temps plein ». Le peintre lui-même confiera : « En 1964, j’ai décidé d’abandonner ce mouvement [le pop art] parce qu’il avait été envahi par le sens du commerce ». Et dans « Pop Forever, Tom Wesselmann… », le magnifique catalogue de l’exposition, Monica Serra qui fut l’un des modèles du peintre confie : « Nous savons tous à quel point il détestait le terme Pop Art. il était d’accord pour américaniser la tradition européenne du paysage, de la nature morte, du nu mais la notion de « pop » était pour lui politiquement chargée et elle avait des connotations commerciales. Il n’aimait pas cela, même si tout cela est arrivé par une sorte de phénomène d’osmose ».
Pourtant, rapidement devenu une des têtes d’affiche du Pop Art, il s’intéresse à la psychanalyse, peint des nus féminins, des pieds, des mains, des bouches (par exemple, celle de Marilyn ou une autre crachant la fumée d’une cigarette), des artifices de la féminité… Dans une galerie, il rencontre la scénariste française Danièle Thompson ; ils deviennent ami.e.s et pendant deux ans, elle pose pour lui. Elle dit : « Il avait cet aspect direct, sans artifices, cette sincérité idéaliste qu’on peut trouver aux Etats-Unis. C’était un bûcheron qui avait décidé de faire de l’art » et aussi : « Il décompose les corps, ajoute d’autres éléments sur la toile, on est très loin de la pin-up. Dans ses toiles, on peut voir une certaine volupté, bien sûr, mais aussi quelque chose de glaçant ».
Récemment, un critique parisien réputé évoquait « l’ironie mordante et érotique d’une œuvre à part » et expliquait : « Tom Wesselmann peut légitimement dérouter : ses tableaux sont parfois lestes, voire presque pornographiques. Presque, car l’artiste, homme des plus subtils, savait mettre le vice dans la tête du spectateur plutôt que dans l’œuvre elle-même, qui fonctionne par allusion. Que l’on se rassure, les tableaux exposés à la Fondation Louis Vuitton jusqu’au 24 février sont, au pire, un peu coquins ». Sortant de l’exposition « Pop Forever, Tom Wesselmann &… », reviennent en mémoire les mots de Slim Steallingworth : « Il considère l’art comme une expérimentation continue et sans fin ». Slim Stealingworth savait de quoi il parlait : il n’était autre que Wesselmann lui-même !
A voir
« Pop Forever, Tom Wesselmann &… » Fondation Louis Vuitton. 8, avenue du Mahatma Gandhi. 75 016 Paris.
www.fondationlouisvuitton.fr
Lundi, mercredi et jeudi : 11h- 20h. Vendredi : 11h- 21h (nocturne le 1er vendredi du mois jusqu’à 23h). Samedi et dimanche : 10h- 20h. Fermeture le mardi.
Tarif plein : 16 euros ; réduit : 10 et 5 euros ; famille : 32 euros (2 adultes + 1 à 4 enfants de moins de 18 ans). Gratuité pour les personnes en situation de handicap et 1 accompagnateur.
A lire
« Pop Forever. Tom Wesselmann... » Catalogue sous la direction de Dieter Buchhart et Anna Karina Hofbauer. Fondation Louis Vuitton / Gallimard, 348 pages, 45 €.