Beau doublé, Monsieur le marquis ! : l'exercice ludique et cathartique de la traque et de la mise en scène
- Écrit par : Imane Akalay
Par Imane Akalay - Lagrandeparade.fr/ Il y a une certaine jouissance à découvrir l’œuvre combinée de Sophie Calle et de son invitée Serena Carone dans les somptueux hôtels particuliers de Guénégaud et de Mongelas qui accueillent le Musée de la Chasse et de la Nature – tout d’abord parce que cela crée l’occasion de redécouvrir l’exposition permanente, délicieusement désuète, qui s’articule, salle après salle, autour de représentations naturelles et culturelles d’animaux sauvages. Et puis aussi parce qu’à un malicieux second degré, l’œuvre de l’artiste conceptuelle grande prêtresse de l’affut et de la traque s’intègre symbiotiquement dans cette thématique.
Le travail de Sophie Calle est souvent personnel, parfois impudique, jamais narcissique. En mettant en scène ses expériences personnelles parfois douloureuses ou blessantes, en invitant des tiers à partager leur ressenti lors de situations similaires, l’artiste décortique la douleur, l’observe de l’extérieur et l’analyse de manière dépassionnée, presque scientifique ; elle s’en extrait, s’inscrit dans l’altérité. C’est un rituel cathartique.
La mort s’annonce d’entrée de jeu. Le visiteur est accueilli par un fantôme – l’immense ours blanc dressé sur ses pattes arrières, mascotte du musée, est recouvert d’un drap blanc. La référence au linceul se retrouve dans la serviette de lin brodé qui recouvre son chat Souris, le linge blanc jeté sur la délicate statue représentant sa mère jeune, nue.
Sophie Calle a perdu « sa mère son chat son père, dans cet ordre » et leur rend hommage. Les premières salles sont un tribut à son père, dont les mains et les mots sont offerts aux visiteurs. Au bélier aveuglé par les volutes de ses propres cornes, le père défunt sans doute, fait face une paire d’yeux sans visage, ceux de l’endeuillé. Si l’émotion n’est pas exprimée, l’unilatéralité du regard est poignante. La frontière entre la vie et la mort est ténue.
L’artiste met également en scène sa propre mort dans une construction baroque et presque religieuse - Sophie Calle modelée par Serena Carone en gisant grandeur nature, voilée de dentelle noire, armurée de talismans, spectaculaire, trône entourée d’une cour d’animaux sauvages naturalisés symbolisant chacun de ses amis.
S’ensuivent un journal relatant la traque d’un inconnu, puis deux séries édifiantes : petites annonces écrites à travers les âges, et annonces « je vous ai vu » illustrées de possibles lieux de rencontre amoureuse. Toujours, l’unilatéralité du rapport ou de la recherche amoureuse. C’est voyeur, anonyme, croustillant et poignant tout à la fois.
A l’étage supérieur de l’exposition, l’artiste livre des « histoires vraies » délicatement manuscrites dans des cadres très kitsch. Sophie Calle se raconte dans un style journalistique, factuel, dépourvu d’émotions. C’est alors le visiteur qui devient chasseur et voyeur, traque les histoires vécues, les insertions d’objets insolites parmi les pièces de la collection du musée – un escarpin posé sur le cadre d’une toile de la collection permanente représentant un chien jouant avec une chaussure de femme, une perruque blonde exposée sous vitrine côtoyant des chaperons de fauconnerie – tous deux objets hérités des années de strip-tease de l’artiste, et encore une robe de mariage rouge, une lettre d’amour « commandée ». Chaque objet a une signification symbolique, illustre une « histoire vraie », une anecdote vécue. C’est pour le visiteur un véritable jeu de piste.
L’exposition est saupoudrée de sculptures de Serena Carone, artiste de la matière : un visage de jeune femme sculpté en biscuit qui pleure de vraies larmes, un ciel de chauves-souris de céramique oscillant et s’entrechoquant, un banc de saumons moulés en cire, des chiens en mousse expansée faisant écho aux peintures de chiens de chasse. C’est ludique et s’intègre parfaitement dans l’esprit du lieu. L’exposition dans son lieu d’accueil permet un délicieux mélange des genres, et au-delà, pose les questions de la blessure et de l’apaisement, du regard et de l’altérité. A voir !
NB : Le musée de la chasse a su évoluer et s’inscrit dans son temps. Il abrite la Fondation François Sommer « pour la chasse et la nature », qui œuvre à la construction d’un dialogue entre tous les usagers de la nature, mène des programmes pour la préservation de la biodiversité et l’utilisation raisonnée des ressources naturelles. La Fondation Sommer reconduira pour la deuxième année le Salon du livre « Lire la Nature », qui se tiendra le 20 janvier 2018 au musée de la Chasse et de la Nature et accueillera grands et petits.
SOPHIE CALLE ET SON INVITÉE SERENA CARONE
Beau doublé, Monsieur le marquis !
DU 10 OCTOBRE 2017 AU 11 FÉVRIER 2018
Commissariat :
Sonia Voss
VISITES CONFÉRENCES
INSCRIPTION :
24, 25, 26, 27, 31 octobre,
2, 3 novembre 2017,
3, 4, 5 janvier 2018
de 11h à 12h
Visite-conférence, sous la conduite d’un conférencier, de l’exposition temporaire « Beau doublé, Monsieur le marquis ! » de Sophie Calle et Serena Carone.
10€ / participant, inscription obligatoire.
Horaires :
Mardi à Dimanche, 11h à 18h
; Mercredi, 11h à 21h30;
Fermé le lundi
Accès
: 62, rue des Archives 75003 Paris
Crédit-photo: portrait de Sophie Calle / Sculpture de Serena Carone