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Prima la vita de Francesca Comencini : « La vie n’est peut-être qu’un rêve »

  • Écrit par : Romain Rougé

francescaPar Romain Rougé - Lagrandeparade.com/ À Montpellier, Francesca Comencini a ouvert le 46e Cinémed avec la projection en avant-première de Prima la vita, une autobiographie qui relate ses relations à la fois aimantes et tumultueuses avec son père, le cinéaste Luigi Comencini. À l’occasion d’une rencontre presse, la réalisatrice est revenue sur la genèse du film et ce qu’elle a voulu transmettre à travers cette œuvre.

Francesca Comencini, est-ce qu’il y avait un (bon) moment pour faire ce film ?
Je crois que tous les films ont un temps. Pour Prima la vita ce fut d’abord une démarche très personnelle pour me dépêtrer mentalement et physiquement de mes doutes et prendre la distance nécessaire sur les relations que j’entretenais avec mon père. Je crois également qu’il m’a fallu atteindre une maturité de métier, je devais me sentir assez bonne cinéaste pour le faire.
Puis j’ai eu cette étincelle pendant le confinement, lorsque tous les cinémas ont fermé. Cloitrée chez moi, je pensais vraiment que le cinéma était perdu et je me suis dit à ce moment-là qu’il fallait que je fasse quelque chose pour éviter ça…

On a l’impression que le film oscille entre marcher sur les pas du père ou s’en éloigner. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Honnêtement, je ne sais pas. Ce que je sais, c’est que je lui ai désobéi car il détestait les autobiographies ! Ce film est presque méta cinématographique. J’ai cherché à relever mes propres défis, autres que ceux de mon père qui avait un grand sens de l’engagement civil et citoyen. Intérieurement, je ne me sens plus comme la fille de ou comme un outsider. Ayant atteint la soixantaine, j’ai fait le bilan de ce que j’ai fait de bien et c’est à ce moment-là que je me suis permise de réaliser ce film.

Le thème de l’enfance, cher à votre père, est aussi omniprésent dans le film…
Mon père était très connecté avec l’enfant qui était en lui, il a trouvé la force d’être cinéaste grâce à ça. De mon côté, l’enfance a quelque chose de plus vaporeux. Ces images du fleuve que l’on aperçoit dans le film me rappellent le Mississipi, le blues, ces endroits un peu mystiques du sud des États-Unis. Le nuage qui devient une baleine est un clin d’œil à Pinocchio mais c’est aussi une volonté d’adjoindre l’onirisme à la réalité, avec l’idée que la vie n’est peut-être qu’un rêve.

Votre mère, vos sÅ“urs, n’apparaissent pas dans le film. Pourquoi ce choix ?
C’est un choix radical et stylistique. Mais de toute façon, je n’étais pas capable de réaliser un film familial sur les relations qu’entretenaient mon père avec les autres. Tout ce que je raconte dans ce film, c’est du vécu.
Dans le cinéma comme dans la vie, il faut faire des choix, isoler des moments, des séquences, pour s’y attarder honnêtement. Se focaliser sur cette relation particulière que nous avions mon père et moi était le seul angle possible pour faire ce film. 

L’assassinat d’Aldo Moro est aussi un souvenir qui traverse le film. Quel impact a eu cet événement sur vous ?
Au-delà de mon histoire personnelle, je souhaitais montrer les événements et les traumas collectifs de mon pays, les mêmes qui sont rentrés dans toutes les maisons à cette époque. La mort d’Aldo Moro est restée incertaine jusqu’à ce qu’il soit inhumé, en privé. Avec lui sont morts un espoir politique et une génération tout entière. Je voulais vraiment montrer ce qui reste d’une révolution manquée.

Est-ce que le film ne traduit pas chez vous une forme de nostalgie ?
Je n’ai aucune nostalgie et je déteste ça ! Pour moi, c’est le contraire de la mémoire. Mon pays, l’Italie, est envahi par la nostalgie et c’est bien une des causes de son mal-être aujourd’hui. Dire que le cinéma d’antan était meilleur est une façon destructrice de penser. Il y a peut-être eu un âge d’or du cinéma italien mais aujourd’hui, il y a énormément de femmes cinéastes et le monde du cinéma se bat contre un système politique qui ne l’aime pas !
Les années 70 étaient à la fois passionnantes et horribles avec beaucoup de violences quotidiennes ou l’arrivée de l’héroïne et de ses ravages… La seule nostalgie que j’aie, c’est peut-être l’argent qu’il y avait pour faire des films.

Que retenez-vous de ces années-là ?
La révolution féministe : c’est elle qui a vraiment changé l’Italie ! Souvenons-nous qu’en 1981, le « delitto d’onore Â» (crime d’honneur) était une loi encore en vigueur dans un pays bigot, macho, à la mentalité très fermée. Même si c’est un gros bordel, je préfère l’Italie du présent.
Le sujet du film est aussi la peur de l’échec et la façon de l’apprivoiser…
Une de mes sÅ“urs m’a confié une lettre que mon père avait écrit pour un écrivain avec qui il entretenait une correspondance. Un passage disait : « De tous les métiers que j’ai fait, le cinéma est le seul où j’ai échoué. Â» Nous devons tous nous confronter à la possibilité de notre échec, sinon on n’apprend jamais rien. C’est effectivement ce que j’ai souahité transmettre avec ce film.

Prima la vita
Réalisatrice : Francesca Comencini
Sortie en France : 12 février 2025
Avec : Fabrizio Gifuni, Romana Maggiora Vergano, Anna Mangiocavallo
Distribution : Pyramide Distribution
Coproduit par Marco Bellocchio et Sylvie Pialat

Crédit-photo : Pyramide Films

 

 


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