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East Punk Memories : les punks (hongrois) sont des nostalgiques comme les autres…

  • Écrit par : Guillaume Chérel

East punk memoriesPar Guillaume Chérel - Lagrandeparade.fr/ A la fin des années 80, Lucile Chaufour, alors en Russie, entend parler d’une bande de punks qui sème le trouble en Hongrie. Elle part les filmer, en format super 8, à Budapest (moments forts du doc). Par leurs tenues provocantes, à travers leurs chansons, ils exprimaient leur colère contre le régime communiste et subissaient de plein fouet la répression policière et d'incessantes intimidations. Bref, ces drôles d’olibrius foutent le bordel… si l’on reste dans le ton du film. Tous attendaient avec espoir (ou pas) le changement du système. En attendant, ils ramaient pour se procurer des cassettes des Ramones.

Vingt ans plus tard, que sont-ils devenus ? Résurgence du nationalisme, sauvagerie du capitalisme, confusion des visions politiques de la droite et de la gauche, comment vivent-ils la crise actuelle ? « Pour moi la question du film est de débrouiller ce que signifiait être punk en Hongrie dans les années 80, et si ce qui est advenu avec la chute du Mur correspondait à leurs attentes », explique la réalisatrice. À l’époque, chez nous, le punk était une formidable soupape quand on avait seulement le choix entre les shows télévisés de la variété française et Michel Jackson, quand on n’avait aucune éducation politique mais qu’on sentait que quelque chose ne tournait pas rond. Â».
En Angleterre, terre de Sid Vicious et des Sex Pistols, c’était encore autre chose. Alors qu’à l’ouest le mouvement punk était plutôt engagé politiquement à gauche, tendance anarco-nihiliste, et critiquait l’idéologie capitaliste en vigueur, la radio « Free Europe Â», organe de propagande anti-communiste financé par la CIA, utilisait cette musique pour amener la jeunesse des pays communistes à la révolte. En Hongrie, république socialiste sous le joug soviétique, quelques dizaines de punks luttaient contre le régime en écrivant des textes de chansons enragées plus que critiques. Certains participaient aux mouvements de contestation. D’autres (les filles surtout) se contentaient d’adopter des looks sombres et agressifs.
Vingt ans après la chute du mur, ils ont tous évolué différemment. La plupart ne se voient plus, ne se reconnaissent pas (cf. scènes amusantes où l’un d’eux croit reconnaître sur photo de l’époque… une ex-petite amie ; un autre ne se reconnait pas lui-même ! Avec sa coupe de cheveux). Ça ressemblait à du punk, avec le look, la musique faite à l’arrache dans leurs appartements, et la « rebelle-attitude Â» autodestructrice mais ils ne réagissaient pas aux mêmes choses. Le résultat est le même. Parmi la douzaine de punks évoquée par Lucile Chaufour, un est mort d’overdose, un autre a failli y passer - sauvé par la médecine post-communiste hongroise qu’il exécrait – un autre s’attend à retourner en prison et on ne donne pas cher du futur de deux autres (dont un skin), les neurones ravagés pas les années de bière et de baston, mais qui ont encore l’énergie de pirate libertaire dans les yeux. Les autres se sont stabilisés, pour ne pas dire rangés… Devenus enfin adultes ? Certaines idéologies nauséabondes sortent de certaines bouches, à l’image de ce qui se passe en Europe en ce moment contre les « migrants Â». Tous sont déçus des politiques. Comme chez nous… Le rejet du pouvoir équivalait, chez eux, au rejet du communisme stalinien, donc des russes, donc favorisait le nationalisme, qui pouvait amener au racisme anti-tzigane, entre autres. L’un d’eux est d’ailleurs devenu skin-head (néo-fasciste), une autre institutrice (toujours raciste xénophobe), l’autre chef d’entreprise cynique… Finalement, c’est le système capitaliste qui a gagné : l’individualisme et la société de consommation (voir les affiches publicitaires qui ont envahi la ville, alors que dans les années 80, les murs étaient vides). Il fait toujours moche, gris, froid et pluvieux sur les images extérieures. A l’intérieur, dans les appartements exigus, ça suinte la sueur, la testostérone et l’alcool. Les rues sont sombres, le ciel bas. Et les idées pas si hautes que ça… Manque que les rats apprivoisés. Quant à la musique (prétexte à se réunir et gueuler, se défouler), elle est énergique mais assommante à la longue. Pourtant, on s’attache aux personnages. Aux personnalités. Du quotidien au particulier, on passe au général. Et là ça devient génial. Sociopolitiquement révélateur.
A travers les dissonances, les repositionnements, les contradictions qui apparaissent au fil de leurs témoignages, on comprend comment l’économie de marché a enfermé la population hongroise dans une situation ambivalente. Entre le démantèlement des acquis du socialisme engagé par la gauche libérale et le repli nationaliste d'une droite qui se dit sociale, la démarcation traditionnelle entre droite et gauche a laissé place à une confusion idéologique à laquelle ils doivent faire face. Une fois encore, comme chez nous finalement.
Les nostalgiques de cette époque vont adorer. Cela aurait fait un excellent doc pour une soirée « théma Â» sur Arte. Mais les autres ? Les jeunes, peut-être, pour qui cette période fait partie de l’Histoire du rock. Les plus anciens comprendront mieux « la Â» grande Histoire récente depuis la chute du mur de Berlin. Les moments les plus touchants de documentaire sont peut-être ceux où, passé le ricanement nerveux, lorsqu’ils se revoient et se remémorent leurs frasques, essentiellement basés sur du gros son et de la bière à foison, ils réécoutent leurs textes coléreux et engagés et qu’ils en arrivent à regretter la période communiste, pendant laquelle « tout le monde mangeait à sa faim Â» et où la vie n’était pas « si difficile finalement Â»â€¦ Comparé au capitalisme sauvage, sous-entendu. Le seul (un fils de philosophe) qui a fait de la prison en a fait pour trafic de drogue (il reconnait sa faute), sinon « l’immonde dictature Â» se contentait de leur donner des avertissements, de les convoquer à la police, ou de les stigmatiser au lycée… Rien de bien méchant, tout compte fait. Les paroles de leurs chansons demeurent néanmoins fortes, car il fallait en avoir pour oser se rebeller sous cette chape de plomb. On aimerait les voir aussi « militants Â» aujourd’hui face au système auquel ils se sont finalement soumis pour la plupart. Reste deux ou trois derniers des Mohicans, dont ce punk à chien qui clôt le film. Il en a perdu la raison mais lui, au moins, aura été au bout de sa logique No Future.


Film (documentaire) : East Punk Memories
De Lucile Chaufour 
France – 2013 – 1h20 – Couleur – 1.77 – 5.1 â€¨V.O. en hongrois & anglais, sous-titrée en français
Format de tournage : HDV 16/9 - super 8
Avec Kelemen Balázs, Tóth Miklós, Mozsik Imre, Márton Attila, Papp György Zoltán, Ványi Tamás, Rupaszov Tamás, Horváth Attila, ErdÅ‘s József, Vojtkó DezsÅ‘, Asztalos Ildikó, Törjék Tünde.
Et les groupes QSS, ETA, CPG, Kretens, Aurora, Modells, Bandanas.

Sortie nationale le 30 mars 2016

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