Je vous souhaite d'être follement aimée : une quête d'identité kinesthésique bercée des ondes cuivrées d'Ibrahim Maalouf
- Écrit par : Julie Cadilhac
Par Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ Dunkerque, de nos jours. Elisa, masseur-kinésithérapeute, vient de s'installer avec son fils Noé dans la ville où elle est née 30 ans plus tôt sous X. Depuis quelques mois, la jeune femme fait des recherches sur sa mère biologique qui demeurent sans réponse satisfaisante pour elle ; en effet, cette femme refuse de dévoiler son identité. Pourtant Elisa ne renonce pas et le hasard va placer sous ses doigts de thérapeute celle qu'elle n'espérait plus...
Peut-être dira-t-on en prélude que certains risquent d'être surpris s'ils se sont laissés guider par "Je vous souhaite d'être follement aimée" sans jeter un oeil sur le synopsis...ou s'ils ne connaissent pas bien l'oeuvre d'André Breton. Cette phrase, extraite de "l'Amour fou", est en effet la conclusion de la lettre d'un père à sa fille qui vient de naître. Ce titre est donc un clin d'oeil à la main tendue qu'espèrent tous ceux qui sont à leur recherche de leurs géniteurs biologiques et qui souffrent de ne pas recevoir de manifestations d'amour de celui ou celle qui est à l'origine de leur naissance.
"Peut-on se construire "pleinement" sans ( une) part manquante de son histoire?". Dans ce film, "la question se pose aussi bien pour la fille que la mère", explique Ounie Lecomte. La réalisatrice a voulu matérialiser les retrouvailles d'Elisa et d'Annette par la sensation et le toucher, rappelant symboliquement la relation corporelle originelle entre la mère et l'enfant venant de naître. Elle choisit de raconter les maux de l'âme au travers du corps, fait de douleurs indicibles qui se concrétisent en points, en nœuds charnels, ce corps qui garde la mémoire des histoires passées et qu'apaise et soigne le kinésithérapeute.
Le film illustre avec beaucoup de réalisme le caractère éprouvant des formalités à entreprendre auprès des organismes comme la CNAOP et l'insensibilité d'une bureaucratie faite de protocoles inappropriés qui freinent et enrayent parfois ces retrouvailles déjà par nature compliquées. Il montre également le poids des familles et du milieu social qui peut paralyser les individus et dépeint avec pertinence les conséquences psychologiques de ces démarches qui font se rencontrer deux êtres bien réels qui ont eu le temps de projeter des fantasmes sur l'autre ( que ce soit du côté du géniteur ou de l'enfant) et peuvent ensuite ressentir de vives déceptions.
La caméra, réaliste dans la plupart des scènes, se floute parfois, devient sensation et exprime ainsi avec acuité les émotions des personnages de ce long-métrage empreint de sensibilité. Ce portrait émouvant de deux femmes au sein de cette ville de Dunkerque - dont on aperçoit les longues plages, les docks et les raffineries - est accompagné avec autant de délicatesse que de justesse par la trompette d'Ibrahim Maalouf, aux influences à la fois jazz, classique, électronique et arabe. " En voyant le film, il a improvisé quelques thèmes, au piano, qu'il a ensuite modulés et variés, tout en gardant l'impression qu'une ritournelle obsédante . Ibrahim n'a pas composé sur une partition. Il s'est lancé avec des mélodies dans sa tête et s'est laissé guider par son propre ressenti des scènes. On pourrait dire qu'il a fait corps avec le film."
On saluera l'interprétation des deux comédiennes principales. Céline Sallette incarne avec une distance froide et taiseuse le mal-être grandissant de cette jeune femme adoptée; ses yeux clairs, ses mâchoires serrées et sa silhouette frêle savent exprimer tout à la fois une fragilité à fleur de peau et la force de la désespérance. Anne Benoit, face à elle, offre le visage désarmant de ces êtres qui ont subi en silence et en courbant l'échine les affres de la vie et n'ont jamais eu la force de se rebeller. Effacée, vieille fille sous l'autorité d'une mère omniprésente qui vit à l'étage au dessus d'elle, son personnage n'a de réconfort que dans la compagnie de ses trois chiens et les rires des enfants qu'elle croise dans la cantine où elle travaille en tant qu'agent; Anne Benoit l'incarne de manière lumineuse.
Un long-métrage qui peine un peu au démarrage, nécessite quelques minutes d'adaptation pour pénétrer dans l'intimité des personnages, puis prend son temps et choisit un rythme assez lent qui sied aux thèmes abordés. Un portrait touchant de femmes sans fard, un moment cinématographique convaincant. Le sourire d'Annette, tout comme les vélos d'Elisa et de Noé qui s'élancent à toute vitesse sur le bitume de la promenade en bord d'océan, rengorgent le coeur d'un peu de soleil salvateur...
NB :Les propos d'Ounie Lecomte sont repris d'une interview dirigée par Claire Vassé.
Je vous souhaite d'être follement aimée
Réalisation : Ounie Lecomte
Production : Gloria Films - Laurent Lavolé
Scénario : Ounie Lecomte et Agnès de Sacy
Musique originale : Ibrahim Maalouf
Image et direction artistique : Caroline Champetier
Décors : Sébastien Danos
Costumes : Elfie Carlier
Montage image : Tina Baz
Montage Son : Olivier Touche, Olivier Goinard, Roman Dymny
Direction de production : Karim Canama
1ère assistante réalisation : Valérie Roucher
Casting : Patricia Guyotte
Scripte :Nadège Catenacci
Avec Céline Sallette, Anne Benoit, Elyes Aguis, Françoise Lebrun, Louis-Do de Lencquesaing, Pascal Elso, Micha Lescot, Catherine Mouchet
Durée : 1h40
Sortie en salles : le 6 janvier 2016
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