Un bruit de balançoire : Christian Bobin, un texte hors temps à savourer sans modération
- Écrit par : Serge Bressan
Par Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / Il est des petits plaisirs qu’à aucun prix, il ne faut négliger. Accompagner un moine- ermite japonais, ou encore suivre les mots qui courent sur les lignes d’un corps. S’enivrer d’un bruit- « Un bruit de balançoire », par exemple. Ce bruit qui fait titre du nouveau livre de Christian Bobin. Une petite merveille, un pur moment de poésie, voilà c’est dit… Evidemment, on entend déjà les ricanements, on voit déjà les sourires en coins des maîtres-penseurs « parisiano-parisiens », ceux-là qui sont persuadés avoir inventé la chose écrite et qui pratiquent à n’en plus finir l’entre-soi. Oui, avec Christian Bobin, ils ne conçoivent que la condescendance- laissons-les vibrionner en rive gauche dans une brasserie ou une closerie et se partager deux magots…
A 66 ans, Christian Bobin, lui, fait sa vie. Et poursuit son œuvre. Depuis 1989 et « La Part manquante », il a publié une cinquantaine de livres. Depuis toujours, il vit aux alentours du Creusot, dans le département de Saône-et-Loire- ces temps-ci, il s’est installé dans une longère dans une forêt. Christian Bobin n’a pas d’ordinateur, donc pas d’Internet- chez lui, ce n’est pas une pose pseudo-artistique. Depuis toujours, il écrit à la main. Il en est encore au manuscrit alors que la plupart de ses consoeurs et confrères écrivains a opté pour le tapuscrit. Il dit : « Je lute contre la disparition de choses qui n’ont aucun prix mais dont la valeur est absolue », et aussi : « Pour ce livre, imaginez : j’ai fait une sorte de cabane en papier et j’ai eu un invité, un vagabond japonais du 19ème siècle, un moine- enfant, c’est ainsi qu’on l’appelait, Ryokan. Il ne voyait pas plus important dans sa vie que d’aller goûter l’odeur de la terre après la pluie, que de jouer parfois avec les enfants ou que de regarder les nuages passer avec leur lenteur de star dans le ciel affreusement bleu ». En première page d’« Un bruit de balançoire », l’éditeur reproduit un texte de Bobin écrit à la main : « Je rêve d’une écriture qui ne ferait pas plus de bruit qu’un rayon de soleil heurtant un verre d’eau fraîche. Ils ont ça, au Japon. Un de leurs maîtres du dix-neuvième siècle, Ryokan, est venu me voir. Vous verrez : il n’a qu’une présence discrète dans le manuscrit. Il se cache derrière le feuillage de l’encre comme un coucou dans la forêt ». Un peu plus loin : « Je crois qu’il est vital aujourd’hui de prendre le contrepied des tambours modernes : désenchantement, raillerie, nihilisme. Ce qui nous sauvera- si quelque chose doit nous sauver- c’est la simplicité vraie d’une parole ». Et encore : « Ce qui parle à notre cœur-enfant est ce qu’il y a de plus profond. J’essaie d’aller par là . J’essaie seulement ». N’entendez-vous pas ce bruit de balançoire ?
Donc, après les six premières pages sur papier bleu qui reproduisent les mots manuscrits de l’auteur, on s’embarque pour vingt lettres. Parce que, oui, Christian Bobin pratique encore l’art épistolaire alors que ses contemporains n’en ont que pour les textos, tweets et autres courriels. Et dans ces vingt lettres, comme en fil rouge, il y a Ryokan, ce moine-ermite japonais du 19ème siècle qui vivait de mendicité et de lecture, lui-même disciple de Dôgen- fondateur du bouddhisme zen au Japon au 13ème siècle. Précisions de Bobin : en Ryokan, il voit son reflet, et il écrit avec lui et non pas sur lui.
Ecrivain assumé du murmure et de la confidence, l’ermite du Creusot envoie donc ses lettres à une « chère inconnue », à « Frère nuage », à sa « Mère » mais aussi à Marina (Tsvetaeva, la poétesse) et à Nadejda (la femme du poète et essayiste russe Ossip Madelstam). Sans oublier une lettre à un escalier et une autre au bol de son enfance… A toutes les pages, c’est le feu d’artifice… « Je veux passer ma vie à lire des poèmes en attendant que le grand Poète me cueille », « Nos projets sont un labyrinthe de verre avec des traces de doigts sur les portes : le palais des glaces à la foire. Nous n’y entrons que pour en chercher la sortie », « L’humain est un tissu qui se déchire facilement »... Qu’il est doux à entendre, ce bruit de la balançoire quand Christian Bobin la pousse. On est dans le monde des petites choses, là où il est bon de ne rien faire, de rêver, de lire et de fréquenter libraires et librairies qui « sont des points d'eau dans le désert du monde ». « Un bruit de balançoire », c’est la douceur d’un baiser sur des lèvres à l’arôme fraise, un pur moment de poésie, un texte hors temps. A savourer, à consommer sans modération aucune…
Un bruit de balançoire
Auteur : Christian Bobin
Editions : L’Iconoclaste
Parution : 30 août 2017
Prix : 19 €