« Les journées doréfiées de Nathalie » : un livre-compagnon pour les lecteurs-rêveurs
- Écrit par : Romain Rougé
Par Romain Rougé - Lagrandeparade.com/ Paru en 2015, ce premier roman signé François Baillon navigue entre songeries et poésie. Il se distingue par son écriture qui sort des sentiers battus, tout en nous incitant à revoir notre rapport au temps et à retrouver notre âme d’enfant.
Il est des livres qui vous touchent. Et on sait pourquoi. Dans le amas d’ouvrages qui paraissent tous les jours ou qui peuplent les rayons des librairies, certains demeurent cachés, comme trop timides à l’idée de se montrer.
Les journées doréfiées de Nathalie est de ceux-là. Ici, François Baillon, conte l’histoire d’une petite fille qui dialogue avec les Jours de la semaine, angoissée à l’idée que ces mêmes Jours disparaissent de plus en plus vite à l’aube de ses 10 ans. Comme une Alice au pays des semaines, Nathalie pénètre son terrier calendaire qui lui évitera, le croit-elle, de franchir le pallier de l’âge adulte. Son monde imaginaire, c’est celui que fabrique tout bambin plus ou moins fantaisiste. Charge au lecteur d’y pénétrer pour attraper ici et là quelques sensations, émotions, souvenirs.
Avec brio et facétie, l’auteur nous propose de rejoindre un monde fantasque, poétique et surréaliste où l’on croise, pêle-mêle, un Danseur éternel, un psycho-détective, un poussin masqué, un monsieur qui fait le tour d’une piste invisible dans l’air, des « pompiers violets dans leur fameux trois-mâts à roues, constitué de pétales de crocus géant et concocté au parfum de bégonia », ou encore des dames qui « escaladent plusieurs niveaux de l’atmosphère et, toujours guidées par l’air qui fait bouffer leurs robes » ressemblent à « des abat-jour folâtres et légers, tournoyant et tressautant… » !
Si François Baillon nous régale avec sa fournée de fous-vivants et de mots-semblants, on savoure aussi la moindre part de phrase de ce roman rocambolesque, salivant de littérature intelligente et intelligible, telle une « bave adamantine filtrant au bord des lèvres ». Mais ne vous y trompez pas, sous ses traits enfantins, l’histoire regorge d’une mélancolie mijotant dans l’inexorable fuite du temps et l’envol de notre âme d’enfant… La maman « espionneuse instigatrice, silencieuse inspectrice » ne s’y trompe d’ailleurs pas, « elle sait depuis longtemps que les enfants peuvent être poussés par un souffle de vent et ne jamais revenir chez leurs parents ».
Une galerie de personnages farfouillés !
Cette souffrance latente est personnifiée par l’héroïne bien sûr, mais aussi par Solange, maitresse éplorée qui s’attriste de la disparition d’un papier peint couvert de roses (« Dames printanières rangées parfaites aussi longues que des éternités ») et qui a, par la même occasion, verrouillé son cœur, contourné par un « appendice extrêmement charmant doré comme un coulis de miel qu’on aurait rendu solide, ornement de la clé qui interdit tout emballement ». Il y a enfin l’énigmatique Vivvian (avec deux V) littéralement auréolé de ses méduses sorcières, qui se trouve, comme Nathalie, « solitaire, écarté, face à des événements bouleversants dont on ne comprend pas toujours la nécessité ».
Les personnages esseulés, les lieux fantasmés, les temporalités malléables, tout s’entremêle pour faire émerger de ce joyeux gloubi-boulga une réflexion majeure sur la peur de grandir et le désarroi face à un monde qui serait dépourvu d’imagination... Quand la maitresse ressent « l’école aussi silencieuse que ce qui régnait au début du monde », apparait alors une porte facétieuse envahie par le lierre (végétal ô combien temporel) qui se dissimule et « revendique ses appartenances au passé, au présent et au futur anticipé ».
Pendant ce temps, Nathalie, elle, s’ancre dans sa bulle : ici un homme se fait dévoré par une balustrade, là une dame devient une « atmosphère » ou plutôt selon elle, « un vaperon, équivalent masculin de ces dames vapeurs qui se diluent dans l’air annihilant toute consistance ».
Un livre sur la disparition des choses et des êtres
C’est ainsi, mais le monde change fatalement. Il se modifie « et aucun adulte n’est assez sensé pour le remarquer ». Pour Nathalie, c’est bel et bien l’univers dans son entier qui ne tourne plus rond : lui voler son enfance, quelle terrible prophétie ! Quelle est l’urgence quand « le ciel, sans doute par lassitude, aspire de moins en moins de personnes pour qui l’heure dernière a été annoncée » ? Pour Vivvian, se séparer de ses méduses qu’il voit comme deux consciences distinctes annonce-t-il la fin de sa singularité au profit d’un esprit plus formaté ?
Les questionnements se poursuivent et « tout continue de se mouvoir ainsi, par vagues saccadées, tout se module, se détruit, se remplace, à la fois souple et indécis ». Finalement demeure la solitude de personnages-rêveurs face à leur Destin « sans doute le plus grand mystère de notre Temps », celui-là même « qui préfère voir naître une grille » là où nos songeurs voient « des graines de ferraille (…) semées pour faire pousser une série d’horodateurs… »
Bien plus qu’un livre sur l’enfance – ce qui serait honteusement réducteur, François Baillon nous invite à la rêverie, à affirmer sa personnalité, à chérir l’instant présent car oui, « le temps ne veut rien nous laisser apprécier ». Mais aussi, peut-être, à embrasser, à accepter, ces états souvent contradictoires qui nous construisent en tant qu’individu, à l’image d’un être atmosphère doté d’« une autoroute d’émotion dans la tête qui prend tous ses sens ».
Si la puissance de ce roman transparait à travers sa capacité à faire émerger des émotions profondes, sa beauté réside parfois dans le souvenir d’une rencontre hasardeuse, déchirante par sa lucidité et éphémère comme un éclair striant le ciel, avec qui nous refermons le livre pour aller rêver : « Roro, rebelle inutile, ou parce qu’il est triste ou parce qu’il est coléreux, s’en va s’isoler dans les hauteurs de vallon. »
Les journées doréfiées de Nathalie
Par François Baillon
Édition de l’Onde
https://francoisbaillon.fr