Par Serge Bressan - Lagrandeparade.com / On la dit légende de la poésie et de la chanson- ce qui la fait un jour sourire, le lendemain colérer.

Le 24 juin dernier, elle a fêté son 84ème anniversaire en son royaume parisien de l’Île-Saint-Louis ; deux jours plus tôt, elle se glissait en librairies avec un nouveau livre au titre aussi beau qu’énigmatique : « Fatrasie ». C’est gai, c’est crépusculaire- beau, oui, parce que c’est signé Brigitte Fontaine. Laquelle explique le titre de ce recueil nouveau, cette fatrasie, genre mineur de la poésie médiévale qui fait le choix délibéré de l’incohérence, des sauts de tons et de registres, « c’est un mot que personne ne connaît, à part moi, et qui date du Moyen Age… il veut dire méli-mélo de petits poèmes, d’histoires plus ou moins « nonsense », plus ou moins sinistres ». Et la Reine des kékés, la poétesse punk, la « folle » (si l’on en croit quelques incultes tenanciers de plateaux télé) de nous embarquer dans un monde, dans son monde de panache déjanté où l’on ne cesse de célébrer la vie, la mort, le couple, le sexe et aussi les chats sans oublier ce que, de temps à autre, on appelle « l’Unique ».

Dans cette centaine de pages de folie, de furie et de paix, placées sous la haute surveillance de Charles Baudelaire (avec des mots extraits du poème « Bénédiction » : « Je sais que la douleur est la noblesse unique / Où ne mordront jamais la terre & les enfers ; / Et qu’il faut, pour tresser ma couronne mystique, / Imposer tous les temps & tous les univers »), c’est la grande dérive, textes de quelques lignes en vers libres, texte en prose ramassée, textes de trois pages… On ouvre, on lit : « Détresse traitresse / poison + ordures / fiel et morsures / sanglots secs / sanglots malins/ poignards partout / pluie de plomb (…) » ou encore : « Crapule sauvage, pauvre petite fleur fanée, en lambeaux dégradés, servile set révoltés, abandonnée, ça c’est nouveau, entourée d’hostilité et de réprobation violente ; oui abandonnée, oui parfaitement, oui petite fleur décrépite, moi, oui moi, l’ex-prodige, l’étron vertigineux, inaperçu, maussadement tragique (…) ».
Allongée sur son lit ou sur une méridienne, Brigitte Fontaine confie que son corps ne suit plus, que le temps des concerts est passé. Reine magnifique et unique des kékés, vendeuse rare de nougat et ambassadrice éternelle de Morlaix, du Cap Fréhel et de Terre-Neuve, elle en profite pour rappeler qu’elle qui, enfant, s’imaginait un avenir de grande comédienne est, surtout et avant tout, une écrivain (attention, ne jamais lui dire « écrivaine », c’est l’assurance d’une belle colère de « LA » Fontaine !). Dans le passé, nous avions savouré « La Limonade bleue », « L’Onyx rose », « Paroles d’Evangile », « La Vieille prodige » ou encore « Vers luisants ». Et maintenant « Fatrasie », merveilleux barrage à la mort d’une auteure qui a « l’honneur d’être la reine du Mardi-Gras » et qui ne craint pas les exhibitions… Une auteure qui confie : « Entre la mort et moi, un barrage : l’écriture ». Dans ces mots, résonne la voix de la poétesse punk de l’Île-Saint-Louis. D’une femme qui, toujours, s’est voulue libre. Drôle et tragique, aussi.
Son éditeur nous glisse une tendre définition de la dame : « Chanteuse, comédienne, écrivain, dramaturge et parolière française, dixit le net. Pas net pour autant ». Elle-même nous avait, en 2012, glissé son « Portrait de l'artiste en déshabillé de soie »- déjà, un autoportrait alors qu’elle a juré ses grands dieux qu’elle n'en écrirait jamais une seule… Qu’importe ! avec « Fatrasie », tenue d’une reine installée en son palais sur un rocher méditerranéen et gouaille d’une picolo savourant un ballon de blanc à 9 du mat’ dans un troquet de Morlaix, Brigitte Fontaine manie comme nulle autre le désordre joyeux, tout en oeuvrant encore et encore, encore et toujours pour l’honneur des femmes. Et joue, en mots et phrases éblouissantes, avec la mort parce que « la mort, c’est la seule chose qui soit sûre. Et encore »…

Fatrasie
Auteure : Brigitte Fontaine
Editions : Le Tripode
Parution : 22 juin 2023
Prix : 13 €

Extrait

« Avant la conception, avant la naissance, nous sommes deux ; après la mort, c’est un. Un quoi ? nul ne le sait, même si on a un jour vécu comme étant soi la totalité de tout. La brutalité, les univers du tout ; infini. Infini, fini ? Ok, ça n’est pas vraisemblable mais c’est comme ça paraîtrait-il.
Rien n’est comme rien, ou alors nous sommes de lamentables ignorants, ce qui est probable ».

Terre neuve : Brigitte Fontaine tout en énergie et émotion

Paroles d’Evangile : quand Brigitte Fontaine fait des bulles !

L’onyx rose : Brigitte Fontaine, décollage immédiat