Leurs enfants après eux : un miroir éclatant de cette France oubliée
- Écrit par : Xavier Paquet
Par Xavier Paquet - Lagrandeparade.com / La haute température des hauts fourneaux d’Heillange, commune de l’Est de la France, n’est plus quand celle de la canicule de cet été 1992 est intense. « Leurs enfants après eux » commence ici dans ce paysage dévasté d’une France périphérique désindustrialisée où les gens survivent au fur et à mesure que leurs usines meurent.
Nous suivons le parcours d’adolescents dont l’histoire est déclinée en quatre moments de vie, quatre chapitres des étés 92, 94, 96 et 98 : Anthony, personnage principal issu de la classe populaire, Hacine qui se rêve en caïd rebelle, Stéphanie et Clem qui baignent dans la classe moyenne. Dans cette commune déshéritée, ils espèrent une vie meilleure, meilleure que celle de leurs parents : nous assistons à leur construction dans leur adolescence jusqu’à l’entrée dans le monde adulte. Chacun rêve de sortir de cette ville sans avenir, chacun ne veut pas reproduire le schéma de vie familial mais peut-on réellement sortir d’un avenir sans perspectives ?
L’histoire commence par cet été de pré-adolescence, un été d’ennui et de désoeuvrement : comment s’occuper quand il n’y a rien à faire dans une zone sinistrée et ravagée par le chômage, l’alcool, la drogue ? Entre baignade et vrombissement des mobs qui pétaradent, ce sont aussi pour Anthony les premiers interdits, les premières sorties et les premiers émois.
Les étés se suivront mais ne se ressembleront que dans cet ennui profond et l’attente de jours meilleurs. Entre petits boulots, études et rencontres ou déceptions amoureuses, tous ceux qui ont voulu fuir Heillange finissent par y revenir ne serait-ce que le temps d’un été. Faite de hauts et de bas, leur existence vivote comme si leur destin, autant que la moiteur estivale, leur collait à la peau.
« Leurs enfants après eux » c’est aussi un style d’écriture, très précise, très vive et faisant vivre avec intensité personnages et sensations. Il y a de l’impressionnisme dans les lignes de Nicolas Mathieu tant il rend vivant les situations : on ressent la vitesse grisante des mobs, l’excitation charnelle des corps qui se devinent, la langueur monotone des journées ennuyeuses. Le réalisme est poussé dans les dialogues ciselés, le peu de paroles, le phrasé qui retranscrit avec justesse la simplicité des échanges et les tensions intérieures que chacun ressent. Roman social qui ne tombe jamais dans le pathos, il décrit et dissèque avec un réalisme cru et cruel cette France oubliée, cette France des glacières et des bières en bord de lac, des minima et des supermarchés comme sortie du samedi. C’est aussi un rythme, celui d’une certaine lenteur qui rythme les journées, les vies, les attentes et les envies : le temps comme un jour sans fin, comme un horizon sans avenir.
Dans le traité, les adolescents sont mis au premier plan comme si leur fougue, leur élan pouvait insuffler une seconde jeunesse à cette France qui disparaît. Leurs parents ne sont pas oubliés : traités davantage en mineur, leur place est néanmoins prépondérante au récit. Tout part d’eux, symbole du monde du passé : leurs aspirations de jeunesse transformées en acceptation de leurs conditions, leur comportement évoluant en déshérence, la reproduction sociale qu’ils conditionnement indirectement. Sera-ce le tour de leurs enfants après eux ?
Anthony résume à lui seul la dramaturgie de ces vies, de ces « petites gens » : partagé entre acceptation et rébellion, entre fatalisme extérieur et violence intérieure. Frustration née des écueils amoureux, de la misère sexuelle, de l’alcool qui rend triste ou violent, du désœuvrement des situations de galère. Stéphanie, dont il tombe amoureux à l’adolescence, symbolise son impuissance : une fille (presque) inaccessible pour un avenir meilleur qui l’est tout autant. Il y a du James Dean en lui, une fureur de vivre et d’exister, une envie de liberté et un espoir de s’en sortir autrement.
La poésie cruelle et réaliste, noire et tendre, violente et sensible d’une vie finalement très actuelle : « Leurs enfants après eux » est un miroir éclatant de cette France oubliée qui se retrouve mise en lumière.
Leurs enfants après eux
Editions : Babel ( Actes Sud)
Auteur : Nicolas Mathieu
Parution : 19 août 2020
Prix : 9,90€
