"Rumeurs d’Amérique" d’Alain Mabanckou : une autobiographie américaine…
- Écrit par : Serge Bressan
Par Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / Star du pop art, né à Pittsburgh, Pennsylvanie dans une famille ruthène, Andy Warhol (1928- 1987) assurait que « chacun a son Amérique à soi et puis des morceaux d’une Amérique imaginaire qu’on croit être là mais qu’on ne voit pas ». Né le 24 février 1966 à Pointe-Noire (République du Congo), Alain Mabanckou s’est glissé dans les mots du maître du pop art - résultat : un nouveau livre titré « Rumeurs d’Amérique ». En préambule, il évoque « mon Amérique entre imaginaire et réel » et précise : « J’ai emménagé dans le centre de Los Angeles depuis bientôt un an, et j’apprécie d’écrire ici, sur mon balcon, où j’ai reproduit une atmosphère tropicale grâce à toutes sortes de plantes en pots colorés. (…) Ce matin, face à mon cahier, et pour la première fois, j’ose ouvrir largement les portes de mon Amérique »… Romancier de belle renommée (avec, entre autres, le prix Renaudot 2006 pour « Mémoires de porc-épic »), poète, professeur (au Collège de France à Paris et à l’UCLA à Los Angeles) et membre éminent de la SAPE (Société des Ambianceurs et Personnes Elégantes), Alain Mabanckou vit une grande partie de l’année outre-Atlantique : « Ici, je me suis fondu dans la masse, j’ai tâté le pouls de ceux qui ont ma couleur, et de ceux qui sont différents de moi, avec lesquels je compose au quotidien ». Il y a le Michigan ou, et surtout, la Californie.
Dans un premier temps, il a habité Santa Monica- « quand j’ai débarqué du Michigan en 2006, j’étais loin d’imaginer que je tomberais sous le charme de Santa Monica. La ville me paraissait trop calme, trop rangée, trop féérique pour être vraie » ou encore « Santa Monica est une petite Afrique sans Noirs » ; au moment de la quitter, il confesse : « Santa Monica était devenue mon amante préférée, elle me tendait les bras avec une affection sans mélange... » A présent, il s’est installé dans le centre de Los Angeles, dans le Mid-Wilshire angelino, quartier connu pour abriter le Los Angeles County Museum of Art, le Petersen Automotive Museum et le El Rey Theatre, salle de concert mythique. Alain Mabanckou ou mon Amérique à moi…
Une Amérique racontée par le professeur, le père, le rêveur, le citoyen engagé qu’est Alain Mabanckou, romancier élégant et inspiré, à l’écoute d’un pays, d’un monde en mouvement(s). Mabanckou, l’homme qui écoute et rapporte les rumeurs qui s’élèvent d’un pays, d’un monde dont, au fil des pages, il célèbre « l’immense et le minuscule ». Dans ces « Rumeurs d’Amérique », on passe de la petit histoire à la grande- allers et retours, hier et aujourd’hui (et même demain dans un pays qui, le 4 novembre prochain, sera appelé à voter pour l’élection présidentielle, pour un choix tout simple : Trump or not Trump ?), des arrêts sur image aussi avec, par exemple, l’évocation de l’immense Muhammad Ali, né Cassius Clay, champion du monde de boxe (catégorie poids lourds)- un Afro-Américain qui a refusé de faire la guerre du Vietnam, qui piquait comme une abeille, volait comme un papillon et bondissait comme un tigre… Au hasard de la lecture, on se promène tantôt sautillant joyeusement, tantôt réfléchissant profondément dans ce que l’auteur qualifie d’ « autobiographie américaine, entre les rebondissements de l’insolite, la digression de l’anecdote et les mirages de l’imaginaire ».
Une autobiographie américaine d’autant plus plaisante qu’elle propose une gambade en saynètes et nouvelles brèves. Avec Mabanckou, on déguste un « kiffo » à Little Ethiopia, on se pose sous le portrait de Kobe Bryant (la star de la NBA décédé le 26 janvier 2020 à 41 ans dans un accident d’hélicoptère), on répond à une convocation du tribunal de police de Beverly Hills parce qu’on ne s’est pas arrêté à un feu rouge, on entend une fusillade chez les Hmongs, on file à Tijuana, on entre dans une librairie et découvre son livre sur James Baldwin rangé dans le département « gay litterature ». Mais Mabanckou n’est pas seulement l’homme qui porte un demi-dakar (costume avec veste d’une couleur et pantalon d’une autre) confectionné par son ami Jocelyn le Bachelor, superstar de la SAPE à Château-Rouge, Paris ; dans cet éblouissant « Rumeurs d’Amérique », le romancier entend le monde s’essouffler, passer du rire aux larmes, il voudrait donner à cette Amérique l'espoir d'un jour meilleur- sûrement parce qu’il n'y a pas mieux à faire… Mais les récents drames (la mort de George Floyd tué par un policier, la crise de la Covid-19 et son nombre de morts supérieur à celui de la guerre du Vietnam) rappelle aussi, contrairement au dernier chapitre de ce livre aussi enthousiasmant que clairvoyant, que l’Amérique n’est pas une fiction. Même l’Amérique d’Alain Mabanckou !
Rumeurs d’Amérique
Auteur : Alain Mabanckou
Editions : Plon
Parution : 27 août 2020
Prix : 19 €
[bt_quote style="default" width="0"](…) rien n’y fait, en Amérique, je suis un Africain. Et je n’ignore pas davantage les nuages qui assombrissent mes rapports avec les Africains-Américains. J’ai entendu ici et là que, parmi ces derniers, certains nous reprochent, à nous venus d’Afrique, d’avoir eu des accointances avec les négriers qui avaient déporté leurs ancêtres. Nous serions par conséquent frappés éternellement du sceau de la complicité. [/bt_quote]